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Bande dessinéeet Les grands classiques  

Zorglub (n°1) - La fille du Z
de Jose-Luis Munuera
Dupuis 2017 /  10.95 €- 71.72  ffr. / 64 pages
ISBN : 978-2800170138
FORMAT : 21,2x29,2 cm

La revanche du M

Dans les années 2000, déjà, les tentatives de modernisation de Spirou ne manquaient pas : la reprise officielle de la série par Morvan et Munuera, deux amateurs d'esthétique nippone, un spin-off pensé pour une nouvelle cible (en l'occurrence le marché japonais) et un dessin animé assez inodore où, comble de la mièvrerie, le tyrannique Zorglub se retrouvait flanqué d'une fille pleine de bons sentiments. Toutes ces initiatives avaient laissé la critique de marbre, et partiellement réussi à rajeunir le public. Il est assez incroyable que Dupuis décide aujourd'hui de recombiner les trois tentatives en une seule ; mais il n'est pas moins surprenant que ce nouveau projet s'avère beaucoup plus convaincant que les précédents.

Zorglub a donc une fille, de papier celle-là. Zandra, presque seize ans et demi, s'intéresse moins à la technologie de son savant de père qu'au gentil André avec qui elle fricote au cinéma. Voilà donc le tyran mégalomane transformé en papa poule, surveillant sa fille tout en empêchant les militaires de s'accaparer ses inventions.

Et si, pour moderniser Spirou, il suffisait d'enlever le rôle-titre ? En remplaçant le duo par des jeunes gens fragiles et bien de leur époque, Munuera nous raconte un récit sans anachronisme. Comme dans le Marsupilami de Chabat, l'univers de Franquin resurgit d'autant mieux que sont exclus d'entrée de jeu les personnages en creux, typiques d'une tradition en passe d'être révolue.
Zorglub lui-même, l'antagoniste le plus charismatique de la série, n'avait crevé l'écran que le temps d'un épisode, avant de se parodier aussitôt. Depuis, tous les auteurs, Munuera et ses scénaristes y compris, avaient du mal à gérer son statut de méchant plus ou moins repenti. En faisant du personnage le protagoniste central de son récit, le dessinateur lui rend une crédibilité nouvelle. Il lui donne les moyens d'être un héros d'aujourd'hui, avec ses doutes, ses erreurs et ses regrets. Peut-être enfin la solution pour sauver un personnage adoré des lecteurs, mais aux réapparitions systématiquement décevantes.

Pour autant, la modernité principale vient surtout de la liberté de Munuera comme dessinateur. Il se livre à des séquences d'action gratuite où les robots tirent dans tous les sens au bénéfice du grand spectacle. L'auteur revendique la notion de plaisir et s'en donne à cœur joie : on en prend plein les yeux. Les scènes de dialogue familial, en revanche, assez répétitives, gagneraient sans doute à être plus ramassées ; peut-être un public d'adolescents y trouvera-t-il plus son compte.

Avec cette nouvelle série, Munuera tente de partir à la conquête d'un nouveau public, et s'insère bien dans la bande dessinée jeunesse d'aujourd'hui : numérique, mâtinée de codes internationaux, audacieuse et punchy. Cela ne veut pas dire que le dessinateur était en avance sur son temps quand il se perdait dans les explosions de Paris-sous-Seine, il y a treize ans. Mais cela prouve qu'on peut creuser le même sillon et transformer un échec en réussite, pour peu qu'on ait la liberté nécessaire.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 13/06/2017 )
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