L'actualité du livre
Bande dessinéeet Les grands classiques  

Jojo (Intégrale tome 2) - 1991-1998
de Geerts
Dupuis 2018 /  28 €- 183.4  ffr. / 264 pages
ISBN : 979-1-0347-3014-8
FORMAT : 21,8x30 cm

Une histoire belge

C'est un pan méconnu de l'histoire de la bande dessinée que nous revivons avec Jojo : ce moment où la révolution a eu lieu en France à partir de Pilote et d’Hara-Kiri, où la mode est au sérieux, au politique, au contestataire, et qu'une poignée de résistants belges vont essayer de renouveler la bande dessinée enfantine, en toute simplicité. Il s'agit pour eux de mettre en avant des émotions, loin du spectaculaire de Métal Hurlant ou de la violence explosive de L'Écho des Savanes.

Geerts est au premier plan de ces auteurs dont Morgan di Salvia nous raconte l'histoire dans une préface indispensable. Le joyeux groupe né à Saint-Luc autour d'Hislaire et Frank Pé, introduit à Spirou par Jean-Marie Brouyère, connaît son âge d'or à la fin des années 1970 avant d'éclater en trajectoires individuelles. Geerts en tire un de ses thèmes favoris, l'amitié, qu'il déclinera à longueur d'album. Mine de rien, il pèse dans l'identité d'un journal où il continuera sa série jusqu'à son décès prématuré en 2010.

Ce second tome de l'intégrale nous présente Jojo dans sa période la plus classique. Les albums Un été du tonnerre et Le serment d'amitié sont de petits bijoux qui n'ont pas pâli avec le temps. L'univers est défini pour longtemps et les principales options esthétiques ne sont pas prêtes d'être remises en cause. Un mélange de nostalgie et de curiosité qui fait tout le charme de la série.
On est frappé, en lisant la préface, combien les nombreux amateurs de Geerts le célèbrent pour des raisons différentes. Hislaire revient sur son travail unique de la perspective, Frank Pé admire son usage du noir. Il faut aussi remarquer sa brillante gestion de l'espace. Geerts sait comme personne exploiter la taille d'une onomatopée, la composition d'une vignette, l'épaisseur de la gouttière, pour mettre ses héros à égalité tout en faisant passer une émotion. Il y a toujours le sentiment d'un hors-cadre, un petit quelque chose dont tous les personnages ne sont pas forcément conscients mais qui nous donnent l'impression que ce pays est habité. L'humanité vient de ce paysage qu'on peut toujours approfondir, certains de la générosité de son créateur, quitte à redécouvrir le détail d'un papillon, d'un passant ou d'une vague. Pour autant, le récit n'en met pas moins en scène un récit privilégié, fil narratif de premier plan autour duquel gravite le reste.

Même quand il fait de la science-fiction, Geerts creuse son propre sillon. L'album Monsieur Je-sais-tout, qui clôt cette intégrale, raconte comment Jojo, en recevant un dictionnaire sur la tête, capte en même temps un savoir infini qui lui permet ensuite de passer pour un petit génie. Geerts fait alors l'impasse sur la moindre explication, mettant en scène la vanité du rationnel pour justifier son intrigue. Ce qui l'intéresse, c'est le mystère, l'humain, la lente prise de conscience du cerveau plus que la science infuse. Comme le dessin qu'on sort patiemment de sa plume, qu'on travaille et qu'on observe.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 09/05/2018 )
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