Bande dessinée Revues, essais & documents |
Rapport sur la torture de Sid Jacobson et Ernie Colon Delcourt 2017 / 15.50 €- 101.53 ffr. / 141 pages ISBN : 9782756076331 FORMAT : 16,5x23 cm Un monde plus moche En 2014, la commission parlementaire américaine sur le renseignement a rendu public un rapport sinistre sur l'emploi de méthodes de torture, un rapport de plus de 500 pages qui condensait près de 6000 pages d'enquête sur l'emploi de la torture par la CIA. Ce rapport, commandé par le président Obama dès 2009, mettait en lumière des pratiques autorisées par son prédécesseur afin de "faire parler" des hommes accusés, parfois à raison, parfois à tort, de terrorisme. Un premier constat s'imposait alors : la CIA, qui avait juré ne pas utiliser de méthodes d'interrogatoire renforcé, avait menti... mais hors de ce problème, déjà complexe (raison d'Etat vs Etat de droit), se pose un problème humain majeur, et séculaire : la question de la torture est toujours la même : est-elle efficace et peut-elle sauver des vies ? Et donc est-elle légitimable ? Quant un Dick Cheney ou un Donald Trump affirment son utilité, c'est donner carte blanche à toutes les pratiques... mais il apparaît que la torture ne sert qu'à faire dire aux gens que ce que l'on a envie d'entendre. Et qu'elle ne correspond certainement pas aux valeurs revendiquées par nos démocraties. Mais ce débat est sempiternel, peut être parce qu'il n'est guère publique... aussi Sid Jacobson et Ernie Colon, déjà auteurs d'un ouvrage sur le 11 septembre 2001, se sont ils livrés à un travail à la fois pénible et civique : mettre des images sur des pratiques odieuses. On suit donc, comme une bonne enquête journalistique, le texte du rapport public, et l'on y découvre les pratiques (dont le célèbre waterboarding), les impasses (notamment sur la question de la cache pakistanaise d'Oussama ben Laden) et surtout les discours utilisés pour justifier et lisser l'usage de la torture. On croise, dans ce même album, décideurs et bourreaux, victimes plus ou moins innocentes et sénateurs indignés. L'impression qui demeure est-celle d'une relative impunité, en dépit de toutes les critiques... La CIA a largement masqué la réalité de ces procédés, et ni les institutions, ni les médias, ne furent assez clairvoyants. Et les responsabilités criminelles de certains personnages victimes de ces pratiques justifient-elles qu'on s'y abandonne ? Justice ou vengeance, on ne sort jamais vraiment des dilemmes... Il y a des lectures plus agréables que d'autres : à l'évidence, ce Rapport sur la torture ne figure pas dans la liste des jolis livres, mais on peut le ranger dans la liste des albums nécessaires. Car hélas, le monde n'est pas aussi simple et le journalisme en BD a un rôle à jouer pour dévoiler au grand public ce genre de textes plutôt laissés sous silence. Le graphisme, inspiré des comics, est sobre et sans tabou : les auteurs ont choisi de montrer, de manière explicite, la torture, et l'album, monté à la manière d'une enquête, alterne séquences de tortures et discours de responsables politiques ou du renseignement. Tout l'enjeu est de proposer un vrai débat : il ne s'agit pas de faire de certains terroristes des enfants de chœur, mais juste de poser la question de la légitimité de ces pratiques. A cet égard, Jacobson et Colon ont su éviter le manichéisme et se sont limités à instruire le dossier. La postface, de Scott Horton, adopte la même sobriété toute citoyenne : le lecteur est laissé juge, en se rappelant qu'il est, en tant que citoyen, concerné. Du bon journalisme. Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 01/07/2017 ) |
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024 www.parutions.com (fermer cette fenêtre) |