Bande dessinée Illustrations, graphisme et dessins d’humour |
Play with me de Nicoletta Ceccoli Soleil - Venusdea 2018 / 29.95 €- 196.17 ffr. ISBN : 978-2-30206479-9 FORMAT : 26,2x31,5 cm Alice au pays du temps qui passe Les illustrations de de Nicoletta Ceccoli agissent toujours en deux temps. Il y a d’abord la fascination immédiate : le regard est captivé par ces images lumineuses à la technique parfaite. On admire cette lumière douce et cotonneuse, le velouté des peaux blanches, les couleurs pastel qui se mêlent entre elles dans une sorte de sfumato revisité. Il y a ces mises en scène théâtrales aux compositions précises et majestueuses. L’univers est fantastique, féérique : il y a des petites princesses au milieu de forêts de bonbons ou perchées aux sommets de châteaux de pierre blanche. Quand l’œil tombe sur l’une de ces images en pleine page, c’est l’émerveillement direct. Puis, dans un second temps, le regard prend le temps d’observer la représentation, de voir ce qui est ici vraiment montré. Et le conte de fées perd de sa superbe et naïve magie pour se tourner vers une mélancolie marquée, parfois même vers d’inquiétantes saynètes. S’il est rempli de peluches, de jouets, de jeux et de friandises, le monde de l’enfance de Nicoletta Ceccoli n’est en effet pas forcément très agréable. Dans ces décors à échelles variables et aux allures de petits théâtres, les protagonistes principaux sont toujours des fillettes à l’air grave et triste. Qu’elles soient sur une balançoire en sucre d’orge ou en train de grignoter un bonhomme en pain d’épices, il y a dans leurs regards cette expression blanche, entre défi et résignation. Il y a parfois même comme une colère sourde, quelque sombre violence enfouie. C’est que ces fillettes sont entre deux âges. Comme à la frontière de deux mondes, d’un côté celui de l’enfance bientôt perdue, de l’autre celui plus dur et angoissant de l’âge adulte. Parfois le contraste est saisissant entre ces deux âges de la vie : une fillette est en tenue de mariée, tandis qu’une autre sort du lait d’une poitrine à peine formée. La sexualité est en germe, la séduction est à la fois innocente et provocatrice. La mélancolie et une certaine nostalgie enrobent donc ces images d’apparence naïve et enfantines. C’est à la fois très beau et très triste, et Nicoletta Ceccoli excelle à mettre en scène dans des illustrations oniriques et fantastiques cette période confuse. C’est le temps qui passe qui pourrait ainsi être le sujet principal de ces illustrations : comme dans une vanité classique, il y a ces insectes sur un aliment qui évoque l’idée de pourriture et de lente moisissure. La figure masculine est le plus souvent invisible, parfois en creux. Les petits princes sont minuscules, inoffensifs et anodins. Ils ne sauveront personne. Les fillettes et femmes de ce recueil n’ont pas besoin du sexe fort pour exister ; elles sont Alice et reine de cœur à la fois, maîtresse et héroïne. Parfois, une famille apparaît, des parents, une sœur ou un frère mais l’on réalise vite que tout est faux et que ces compagnons sont en fait des pantins ou des poupées. La fillette est ainsi irrémédiablement seule, avec ses jouets qu’elle imagine vivants ou ses sucreries qu’elle avale avec une gourmandise qui tient du sadisme. La solitude semble être le prix de cette indépendance majestueuse. Comme dans les deux précédents artbooks de Nicoletta Ceccoli, le livre est chapitré en quatre parties, mais si le décorum et les accessoires changent, les thèmes sont les mêmes. Ces trois livres, pour les amateurs d’illustrations contemporaines, sont en tout cas essentiels, d’autant que la présentation est une fois de plus irréprochable. Alexis Laballery ( Mis en ligne le 26/03/2018 ) |
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