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Constitution des Lacédémoniens - Agésilas - Hiéron
de Xénophon
Les Belles Lettres - La roue à livres 2008 /  25 €- 163.75  ffr. / 164 pages
ISBN : 978-2-251-33951-1
FORMAT : 13,5cm x 21,0cm

L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de l’I.E.P. de Toulouse, est titulaire d’une maîtrise en histoire ancienne et d’un DEA de Sciences des Religions (EPHE). Ancien élève de l’Institut Régional d’Administration de Bastia et ancien professeur d’histoire-géographie, il est actuellement conservateur à la Bibliothèque Interuniversitaire Cujas à Paris. Il est engagé dans un travail de thèse en histoire sur les cultes et représentations des Nymphes en Grèce ancienne.

A la recherche du chef idéal

La traduction proposée ici par Michel Casevitz vient combler un grand vide, en offrant aux lecteurs francophones certaines des œuvres qualifiées à tort de «mineures » d’un auteur lui-même souvent présenté comme secondaire. Au mieux, on ne voit guère en lui qu’un pâle imitateur et continuateur de Thucydide, quand on ne le considère pas seulement comme un élève de Socrate moins doué que le grand Platon. Dans sa préface, Vincent Azoulay, grand connaisseur de l’auteur (il a consacré sa thèse à la charis chez Xénophon, et l’a publiée en 2004 aux Publications de la Sorbonne sous le titre Xénophon et les grâces du pouvoir : de la charis au charisme) souligne le désintérêt qu’il a suscité par rapport aux autres grands auteurs de l’époque classique.

Son œuvre a été longtemps considérée comme éclatée et polymorphe, s’épuisant dans des sujets trop vastes et trop variés. Il fait figure d’historien dans l’Anabase (où il se met en scène lui-même, au sein de l’expédition des Dix-Mille) et les Helléniques (prenant la suite de La Guerre du Péloponnèse du grand Thucydide cher à Jacqueline de Romilly). Son Banquet et son Apologie rappellent qu’il fut lui aussi disciple de Socrate, dont il consigne les faits et gestes dans les Mémorables. L’Economique vise à définir les qualités d’un bon chef de maison. La Cyropédie propose un long récit romancé du fondateur de l’Empire perse. Xénophon a aussi écrit des traités techniques sur l’art équestre et la chasse, ainsi qu’un Hipparque consacré aux tâches d’un commandant de cavalerie. Vincent Azoulay montre cependant de manière convaincante que la multiplication de ces innovations littéraires possède en fait une unité : Xénophon cherche à répondre à une question inédite : comment diriger les hommes avec leur consentement ? Pour lui, l’autorité s’incarne moins dans des institutions que dans un homme providentiel, susceptible de mettre provisoirement un terme au désordre et au trouble caractérisant le monde grec dans la première moitié du IVe siècle. L’éparpillement de l’œuvre prend ainsi tout son sens : il traduit la volonté de trouver des modèles d’autorité à différentes échelles : une maisonnée (Economique), un cercle philosophique (Banquet, Apologie, Mémorables), une troupe de cavaliers (Hipparque), une armée (Anabase, Helléniques), ou un empire (Cyropédie).

Dans cette quête du chef idéal, l’échelon de la cité semble à première vue absent. En réalité, Xénophon s’en préoccupe précisément dans les ouvrages publiés dans ce volume de la collection «La roue à livres» des Belles Lettres (on pourra regretter de ne pas en avoir le texte grec en regard de la traduction) : la Constitution des Lacédémoniens s’intéresse à Sparte, où l’auteur a vécu en exil, tandis que la Constitution des Athéniens traite de sa cité d’origine (bien que Xénophon ne soit pas en réalité l’auteur de cette œuvre transmise dans le corpus xénophontien). Hiéron et Agésilas s’interrogent sur deux figures d’individus exceptionnels et les rapports qu’ils ont entretenus avec leur cité.

Dans la Constitution des Lacédémoniens, l’auteur jette un regard admiratif, puis désenchanté, sur une cité qu’il a connue de l’intérieur. L’œuvre a déçu les historiens mécontents de ne pas y trouver suffisamment de renseignements d’ordre institutionnel sur l’ekklesia spartiate, la gérousia ou l’éphorat. Xénophon prend cependant soin d’y rappeler que la force de Sparte réside davantage dans ses usages sociaux et ses mœurs que dans ses institutions politiques. Ces usages s’inscrivent dans le temps originel du législateur Lycurgue, et leur description met en scène un monde figé dans une perfection intemporelle qui n’est plus d’actualité à l’époque de Xénophon. L’œuvre ne se termine cependant pas sur un constat désabusé, mais sur un dernier chapitre consacré aux prérogatives dévolues aux rois. La Constitution des Lacédémoniens serait à lire comme une forme de propagande implicite en faveur de la royauté spartiate. Xénophon suggérerait ainsi que l’apparition d’un roi charismatique pourrait rompre la dynamique du déclin.

Pour Xénophon, vraisemblablement, ce chef d’exception n’est autre que son ami Agésilas, l’un des rois de Sparte. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre la rédaction, quelques années plus tard, de l’Agésilas. Composée peu de temps après la mort du souverain, en 360, l’œuvre adapte la tradition poétique de l’éloge funèbre à la prose, afin de souligner l’exemplarité d’un monarque à la fois glorieux et vertueux et son rôle bénéfique pour Sparte. Il s’agit pour lui de défendre également son ami contre ses détracteurs, qui ont beau jeu de souligner qu’Agésilas n’a pu empêcher le déclin lacédémonien et la défaite de Leuctres, en 371, contre la puissance montante des Thébains. L’œuvre illustre cependant clairement l’une des difficultés de la pensée politique de l’auteur : l’autorité d’un chef charismatique, qu’il appelle de ses vœux, a le défaut d’être éminemment instable et fragile.

Mais si l’autorité peut brusquement s’écrouler lors de la disparition d’un homme providentiel, elle peut apparaître tout aussi brusquement, dès lors qu’un chef exceptionnel surgit de nouveau sur le devant de la scène. Hiéron en est l’illustration parfaite. Dans cette œuvre, Xénophon met en scène un dialogue entre le poète Simonide (inventeur de l’épinicie, ou poème de louange) et le tyran de Syracuse qui donne son nom à l’ouvrage. A première vue, le régime tyrannique a tout du repoussoir : la première partie du Hiéron dépeint un tyran malheureux, condamné à être injuste pour conserver son pouvoir. Mais le poète suggère alors au tyran de modifier sa pratique politique, en remplaçant la contrainte par la persuasion et le consentement. Il s’agit ainsi de transformer le tyran inique en chef idéal et juste. Cependant, cette autorité, comme celle d’Agésilas, est finalement bien fragile. Toujours transitoire, la domination idéale imaginée par Xénophon révèle un univers intellectuel en crise, en mal d’un modèle politique cohérent.

La Constitution des Athéniens a été intégrée à cet ensemble, bien qu’il soit dorénavant assuré qu’elle n’est pas de Xénophon, mais plutôt d’un «Vieil Oligarque» dont on ne sait rien, sinon qu’il est animé d’une haine farouche et injuste envers Athènes. De plus, la description des institutions athéniennes pèche par inexactitude. Elle constitue néanmoins un témoignage non négligeable sur les idées politiques du temps, antérieur d’une cinquantaine d’années à la Constitution des Lacédémoniens.

Sébastien Dalmon
( Mis en ligne le 09/07/2008 )
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