L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Moyen-Age  

Amours vénales - La prostitution en Occident. XIIe-XVIe siècle
de Jacques Rossiaud
Aubier - Historique 2010 /  25 €- 163.75  ffr. / 383 pages
ISBN : 978-2-7007-0396-2
FORMAT : 15,1cm x 24cm

L'auteur du compte rendu : Emmanuel Bain est agrégé d’histoire et docteur en histoire médiévale. Sa thèse a porté sur «Église, richesse et pauvreté dans l’Occident médiéval. L’exégèse des Évangiles aux XIIe-XIIIe siècles».

Les prostituées dans la cité

On imaginerait volontiers qu’au Moyen Âge, dans un monde dominé par une Église qu’obsèdent les questions sexuelles, les prostituées soient bannies et rejetées aux marges des cités, condamnées aussi bien par les autorités judiciaires que par la parole des prédicateurs dénonçant leurs vices et leurs méfaits. Le tableau que brosse Jacques Rossiaud, qui a travaillé de longue date sur ces questions, est non seulement bien plus complexe, mais en outre fort éloigné d’une telle image. Ce livre, qui constitue une synthèse sur la prostitution en Occident du XIIe au XVIe siècle, est traversé par deux idées générales : la diversité des amours vénales, et surtout leur intégration dans la cité, au moins dans les derniers siècles du Moyen Âge, car c’est plutôt à la Renaissance qu’elles sont écartées de l’espace public.

Les facteurs de diversité sont évidemment très nombreux, et c’est un des soucis principaux de l’auteur que de les souligner afin d’éviter les simplifications abusives et de signaler les lacunes de la documentation. Les facteurs géographiques introduisent de la complexité à toutes les échelles, mais permettent globalement de distinguer le Nord du Sud, où la prostitution semble à la fois plus répandue, mieux connue, et plus souvent exprimée dans un cadre public. Car c’est là que se situe une différence majeure entre deux formes de prostitutions : celle qui est organisée et encadrée au sein de maisons, et la prostitution “privée”, pratique isolée et souvent bien plus marginalisée, mais aussi beaucoup moins connue, car sa place dans les sources est réduite. Par ailleurs, entre maisons, il existe encore une multitude de niveaux de prostitution. Par conséquent, le statut accordé aux femmes varie lui aussi, aussi bien dans le temps, que selon les lieux et les milieux.

Malgré cette diversité évidente, Jacques Rossiaud suit une problématique directrice : celle de l’intégration de la prostitution dans la cité. C’est un phénomène progressif qui se construit principalement aux XIIIe-XIVe siècles. La prostitution est alors largement prise en charge par la cité. C’est en effet le pouvoir communal qui se charge d’encadrer l’installation et la réglementation d’aires réservées à la prostitution, qui peuvent aller de la simple maison jusqu’à une rue entière, souvent dans le centre de la ville. La prostitution a ainsi en quelque sorte “pignon sur rue”, même si c’est pour la contrôler et imposer des règles. Celles-ci régissent clients, filles et patrons. La prostitution se rapproche alors d’une forme de “métier” au sens médiéval du terme, c'est-à-dire une organisation corporative.

Une telle intégration de la prostitution au monde de la cité a été rendue possible par l’attitude de l’Église qui a tôt fait le choix de tolérer la prostitution au nom de la faiblesse de la nature humaine, et de la théorie du moindre mal : il lui paraissait préférable qu’un homme fréquente une prostituée qu’une femme déjà mariée. La prostitution est alors comprise comme une préservation possible pour les liens du mariage. D’ailleurs la prostitution est reconnue comme un travail duquel les prostituées peuvent faire des aumônes.

Parallèlement, l’institutionnalisation de la prostitution s’inscrit dans une volonté de contrôle et de stabilité sociale. En encadrant la pratique des amours vénales, les cités entendent limiter les dangers de la criminalité, et en contrôler le développement dans l’espace et dans le temps. Elles essaient aussi de préserver les filles des abus de l’exploitation et des maladies. La création des couvents destinés aux anciennes prostituées contribue aussi à “protéger” le reste de la société de leur présence.

Autorités civiles et autorités religieuses médiévales ont ainsi toutes deux trouvé intérêt à l’institutionnalisation de la prostitution. La situation évolue au XVIe siècle avec un accroissement des exigences morales. Catholiques et protestants se montrent bien plus intransigeants et ne tolèrent plus les faiblesses humaines. Ils appellent alors à la pénitence et au rejet de tous les vices. Les élites urbaines, sensibles à ce discours, renoncent à l’encadrement de la prostitution, et en viennent ainsi à la marginaliser.

Tel est le cadre dans lequel évolue la synthèse de Jacques Rossiaud qui, en différents chapitres, évoque les aspects majeurs de la prostitution médiévale : son fonctionnement, le statut et l’origine des filles, l’attitude de l’Église, la question de l’homosexualité.

Emmanuel Bain
( Mis en ligne le 01/02/2011 )
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