L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Le 19e siècle en Europe
de Benoît Pellistrandi et Nicolas Bourguinat
Armand Colin - "U" 2003 /  25 €- 163.75  ffr. / 316 pages
ISBN : 03/11/2003
FORMAT : 16x24 cm

L'auteur du compte rendu: Natalie Petiteau, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Poitiers, est historienne de la société du XIXe siècle et de la portée des années napoléoniennes. Elle a notamment publié Napoléon, de la mythologie à l'histoire (Seuil, 1999) et Lendemains d'Empire: les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle (Boutique de l'histoire, 2003).
Elle est par ailleurs responsable éditorial du site http://www.calenda.org.


Une relecture du XIXe siècle européen

Le manuel que voici propose une lecture réactualisée d’un XIXe siècle envisagé dans une dimension européenne fort bienvenue.

Il dresse tout d’abord, en un premier chapitre consacré aux “équilibres européens”, une carte de l’Europe en soulignant les mutations frontalières mais aussi les nouvelles dimensions spatiales résultant des nouveaux modes de communication. D’emblée, la Révolution est posée en événement fondateur dont l’effet de traîne apparaît en de nombreux domaines et c’est l’un des fils rouges de l’ouvrage, ce dont on ne saurait trop féliciter les auteurs. La Révolution joue entre autres un rôle essentiel dans les définitions de la nation qui traversent toute l’histoire politique et diplomatique de l’Europe. Les auteurs montrent bien, également, comment les revendications nationales jouent des mémoires historiques. A propos de l’histoire diplomatique, on suit leur plaidoyer en faveur d’une juste prise en compte du rôle des individus mais aussi des opinions publiques.

Le deuxième chapitre est consacré à la démocratisation des systèmes politiques et revient donc, à juste titre, sur les héritages révolutionnaires. Il envisage également le rôle du socialisme dans le renouvellement des débats politiques puis de la vie politique elle-même. Le XIXe siècle est ici présenté comme le siècle de la politisation. Il est aussi le temps de l’affrontement entre absolutisme et parlementarisme. Mais la compréhension du XIXe siècle politique nécessite aussi la connaissance de la politique au village, sujet à propos duquel les auteurs rappellent ce que Maurice Agulhon a montré quant à la “descente de la politique vers les masses”. Ils font ensuite une mise au point sur la chronologie des progrès du régime représentatif et du parlementarisme en Europe, soulignant finalement que les années 1880-1914 sont le temps des masses en politique. Le XIXe siècle connaît un processus généralisé de politisation lié à la construction du national, lequel se fonde sur un substrat de références culturelles et de mythes, les auteurs développant ici un thème évoqué plus succinctement dans le chapitre un. L’implication croissante des masses dans la vie politique se lit notamment dans des symboles et des rituels, notamment les marches, défilés et cortèges qui remplacent peu à peu l’insurrection, mais aussi dans le développement des partis politiques. Les auteurs mettent en garde contre l’erreur qui consisterait à réduire le XIXe siècle politique à un antagonisme bipolaire entre bourgeoisie libérale et classes ouvrières : à juste titre, l’ouvrage s’engage alors dans une évocation des influences politiques des différents groupes sociaux, ce qui insère dans ce chapitre, qui semblait traiter du politique, d’essentiels paragraphes d’histoire sociale.

Le chapitre trois envisage l’Europe face aux révolutions industrielles. Il s’ouvre sur un très bon rappel des modèles d’explication de l’industrialisation. Il analyse la diversité des voies de passage de la proto-industrialisation à l’industrialisation, comme celle des mutations à l’intérieur du système proto-industriel, tout en étant attentif à une géographie claire et nuancée. L’impact des progrès dans les transports est bien étudié. Une bonne synthèse est également donnée du rôle de la demande et de la croissance démographique. Suivent de bonnes mises au point sur les modes d’action des entrepreneurs, des inventeurs et des self-made men. L’évolution des structures bancaires est également bien analysée : banques locales mais aussi hautes banques sont de plus en plus concurrencées par des établissements d’envergure ou de structure autre. Parallèlement, les entreprises industrielles connaissent elles aussi la concentration. On apprécie à chaque fois les précisions apportées quant à la diversité des situations nationales. Suit un bilan du poids des élites économiques dans les sociétés européennes, tout à fait éclairant. Si leur poids a diminué dans le personnel parlementaire et ministériel français entre 1850 et 1914, il ne faut pas négliger leur rôle dans les réseaux d’influence. Il n’existe cependant pas de positionnement politique cohérent dans l’ensemble du monde des affaires européen. Parallèlement à cette modernisation, le monde ouvrier connaît un déclin, mais pas une disparition complète, de ses modes traditionnels d’organisation du travail : à côté des secteurs modernes de l’industrialisation, compagnonnages, guildes et métiers subsistent, contribuant à la persistance d’une culture ouvrière spécifique, différente en bien des points de celle des ouvriers de la grande industrie. Celle-ci l’emporte pourtant peu à peu au temps de la seconde industrialisation, qui est aussi celui de l’invention des syndicalismes et de la protection sociale. Le chapitre se poursuit par une étude de l’urbanisation, fort bien documentée, puis s’achève sur l’histoire de la modernisation des campagnes européennes.

Le quatrième chapitre est consacré aux mutations culturelles, envisageant en premier lieu la sécularisation des sociétés européennes. Est notamment présentée la position des différentes confessions, y compris dans leurs rôles politique et institutionnel. A propos des nouvelles formes de la culture, l’ouvrage insiste sur la scolarisation puis sur les prémices de la culture de masse, avant de rappeler que le siècle s’achève sur “l’invention de l’intellectuel”. Plus court, ce chapitre s’inspire des différentes synthèses parues lorsque la question d’histoire contemporaine des concours de l’enseignement portait sur “religion et culture”.

Au total, on appréciera dans cet ouvrage la densité des rappels de notions essentielles à la connaissance du XIXe siècle ainsi que la clarté et les nuances de paragraphes de synthèse qui maîtrisent toujours bien l’approche de la dimension européenne des sujets traités, sans oublier d’ailleurs les avancées dans le domaine de l’histoire des femmes. On appréciera également les cartes et les index. On peut toutefois regretter que le plan ne soit pas toujours des plus adroits, induisant par exemple d’aborder à plusieurs reprises, mais de façons certes différentes, l’histoire sociale ou les attitudes politiques. Reste que le défi à relever n’était pas des plus aisés ; il l’a été et a abouti à un livre que doivent impérativement pratiquer les étudiants qui ont besoin de s’initier au XIXe siècle. Et si l’on peut également regretter que la bibliographie soit décevante, on doit en revanche noter que celle mise en oeuvre pour la rédaction du livre semble bien plus conséquente : les auteurs connaissent les travaux récents mais ne les citent pas tous explicitement, on sait ce qu’est la loi du genre en matière de manuel, mais pourquoi un manuel ne livrerait-il pas une mise au point bibliographique complète ? L’histoire du XIXe siècle européen en a grand besoin.

Natalie Petiteau
( Mis en ligne le 07/01/2004 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)