L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Période Contemporaine  

Nazisme et barbarie
de Lionel Richard
Complexe - Questions à l'histoire 2006 /  19.90 €- 130.35  ffr. / 303 pages
ISBN : 2-8048-0074-1
FORMAT : 12,5cm x 21,5cm

L’auteur du compte rendu : Rémi Luglia, professeur agrégé d’Histoire et interrogateur en deuxième année dans une classe préparatoire commerciale, est doctorant à Sciences-Po Paris où il mène une recherche sur l’histoire de la protection de la nature en France de 1854 à nos jours à travers le mouvement associatif.

Les structures racistes du système nazi

«Contrairement à ce qui est trop souvent dit et répété, l’antisémitisme d’Etat instauré en 1933, et qui débouchera sur une extermination, n’est pas plus absurde qu’incompréhensible. Il n’est pas dû à la seule «haine» de Hitler pour les Juifs. Il n’est pas imputable à la «folie» de quelques chefs nazis» (p.43). L’esprit du travail et de l’ouvrage de Lionel Richard est tout entier contenu dans cette citation : l’auteur donne à comprendre le phénomène nazi et ses conséquences en terme de violence envers d’autres êtres humains sans tomber dans des pseudos explications psychologisantes qui ont pour conséquence, et peut être même pour vocation, de dédouaner tous les autres niveaux de responsabilité et de rendre à la fois impossible et inconcevable la survenue d’un phénomène similaire. Gardons nous d’appliquer à la barbarie raciste l’adage «morte la bête, morte le venin». Hitler est bien mort mais non le racisme et le génocide.

Pour l’auteur, loin d’être une «simple» folie d’un homme, la barbarie est une composante fondamentale du nazisme et un phénomène historique qui mérite d’être étudié en tant que tel. Car il est porteur d’éléments majeurs de compréhension de la mise en place du système d’extermination. C’est ce qu'il s’attache à faire, plutôt brillamment. Il nous livre ici un ouvrage avec toutes les qualités d’un grand livre d’histoire. Fondé sur des sources et des faits précis et vérifiés, le propos est largement émaillé de citations et de remises en perspective. Loin des généralisations trop souvent hasardeuses ou d’axiomes qui, parce qu’ils ne peuvent être valablement démontrés, sont anti-historiques, Lionel Richard nous fournit une vision riche et argumentée de la planification de la violence nazie envers les personnes ou les catégories jugées indésirables. Centré sur l’antisémitisme, l’ouvrage n’en fait pas moins référence aux autres catégories stigmatisées et persécutées : communistes, démocrates, opposants de toute sorte, tziganes, homosexuels, malades mentaux, etc.

La méthode de Lionel Richard est simple et très efficace : aller aux sources de première main, confronter les affirmations des autres auteurs et chercheurs à ce qu’il trouve, émettre ses propres hypothèses et opinions parfois dans le sens de l’historiographie, parfois à l’inverse. Et une des sources principales utilisée, à juste titre, par Lionel Richard sont les médias nazis, surtout les journaux mais aussi les films, les tracts et autres inscriptions et slogans. C’est dans l’expression de leur pensée que l’on va trouver les ressorts des principes nazis. C’est dans ce qu’ils disent que l’on trouve ce qu’ils pensent et les raisons de ce qu’ils font.

Citons à cet égard les propos tenus par Raphaël Esrail (secrétaire général de l’Union des déportés d’Auschwitz) devant le Mur des Fusillés à Auschwitz I le 9 mars 2006 : «ici, les mots sont devenus des faits». Ainsi, croire que le vocabulaire nazi, les appels à la haine et au meurtre contenus dans leurs organes de presse puis dans la propagande d’Etat, la chape totalitaire qui s’abat sur les Allemands sont sans effet sur les esprits et les consciences et consistent principalement en une logorrhée ostentatoire et de pure forme, c'est faire preuve d’un singulier angélisme décidément incompatible avec la qualité d’historien. D’autant plus que les discours nazis vont se relier naturellement au fond antisémite, d’origine notamment chrétienne, fortement ancré dans toute l’Europe. Rappelons pour mémoire l’affaire Dreyfus en France et les pogroms en Russie ou en Pologne. Pour nombre d’Allemands, les national-socialistes vont apparaître comme les acteurs de la «résurrection allemande» et vont donc obtenir un soutien massif de nombreux milieux influents et d’une bonne partie de la population.

Lionel Richard réfute ici de manière nette et argumentée les théories qui font de la barbarie et de l’extermination un avatar imprévu et évitable du nazisme, surgi presque par inadvertance à Nuremberg. Il démontre au contraire que dès 1933 et leur arrivée au pouvoir, les nazis vont planifier et mettre en application à tous les niveaux et dès que possible, leur idéologie raciste. Si l’extermination de masse n’a pas cours avant la guerre, elle est indubitablement en préparation, dans les esprits et matériellement, et finira par s’imposer comme une conséquence logique et attendue du système. «Donner à comprendre comment la majorité d’un peuple a pu accepter le principe d’extermination d’êtres humains, participer à une élimination proclamée «purificatrice» ou en être passivement, au mieux, le témoin» (p.13), voilà l’objectif de l’auteur.

Il y est incontestablement arrivé avec une impeccable rigueur historique. Un ouvrage décidément indispensable en ces temps de commémorations bien pensantes, de lois sur les mémoires et d'affabulations sur «l’historiquement correct».

Rémi Luglia
( Mis en ligne le 04/07/2006 )
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