Histoire & Sciences sociales
Histoire Générale de Philippe Meyer
Perrin - Pour l'Histoire 2011 / 24 €- 157.2 ffr. / 437 pages
ISBN : 978-2-262-03258-6
FORMAT : 15,5cm x 24cm
L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.
Le fleuve Europe
«Chevaliers, laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château,
Pour me mirer une fois encore dans le fleuve (…).
Là-haut, le vent tordait ses cheveux déroulés.
Les chevaliers criaient Lorelei Lorelei (…).
Mon cœur devient si doux, c’est mon amant qui vient.
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin
Pour avoir vu dans l’eau la belle Lorelei,
Ses yeux couleur du Rhin, ses cheveux de soleil».
Après un voyage en Rhénanie, Guillaume Apollinaire consacra en 1902 ce poème à la fée Lorelei. D’après la légende, la fée Lorelei hanterait les environs de Saint Goarshausen, en Allemagne. Du haut de son rocher, la nymphe de la mythologie germanique ensorcèlerait les marins naviguant sur le Rhin en chantant magnifiquement. Pis, elle les égarerait pour finalement les mener à leur perte : envoutés par la fée des eaux (Meerfei) aux cheveux dorés, d’aucuns périraient en effet en raison du violent courant du fleuve et des rochers immergés.
Philippe Meyer, Professeur émérite de l'Université Paris Descartes, philosophe et historien de la médecine, également membre de l'académie des sciences, souligne dans son passionnant ouvrage intitulé L’Or du Rhin, histoire d’un fleuve que le célèbre fleuve fascine depuis toujours. D’ailleurs, les plus grands écrivains français s’évertuèrent bien souvent à raconter le Rhin. En effet, «Victor Hugo a été terrifié par ses mystères, Alexandre Dumas nous a livré le charme de ses bords, Lucien Febvre a chanté la mystique, la culture et l’universalisme de sa vallée et Roland Recht a merveilleusement illustré l’art suscité par les rives du fleuve». Nombre de poètes succombèrent également aux multiples charmes du Rhin. Ce fut notamment le cas de Guillaume Apollinaire, mais encore de Gérard de Nerval.
Loin de se cantonner à l’Hexagone, cette passion dévorante traversa le Rhin et s’empara de nos voisins. Les Allemands s’enthousiasmèrent, eux aussi, pour ce fleuve troublant les hommes depuis l’époque romaine. Du côté de la littérature, des auteurs comme Heinrich Heine, Clemens Brentano, Hölderlin et Schlegel le contèrent. Mais ce n’est pas tout. En matière musicale par exemple, le Rhin inspira également d’illustres compositeurs tels que Richard Wagner et Robert Schumann. Ceux-ci lui dédièrent des mélodies destinées à en refléter l’extraordinaire diversité : il est vrai qu’il y a de quoi faire, puisque le fleuve part des Alpes pour se jeter dans la Mer du Nord.
Philippe Meyer explique avoir songé à cette véritable promenade le long des rivages du Rhin grâce à l’extraordinaire mutation politique de l’Europe. Celle-ci transforma en effet «le Rhin frontière», objet de nombreuses convoitises et théâtre des conflagrations militaires entre la France et l’Allemagne, «en fleuve culturel, symbole de l’éveil de la pensée d’un continent unifié». Alors que le Rhin séparait naguère les peuples d’Europe, il contribue désormais à les unir. Ce faisant, le fleuve prit progressivement une dimension et une importance qui n’étaient pas tout à fait «prévisibles» au sortir de la Seconde Guerre mondiale. C’est en effet autour du Rhin que se serait construite l’Europe moderne.
Dans cet ouvrage d’une grande érudition et fort agréable à lire, Philippe Meyer s’attarde sur les étapes successives de cette évolution «fabuleuse». En fait, celles-ci constitueraient un véritable «continuum». Alternant chaotiquement le meilleur et le pire, l’histoire du Rhin serait singulièrement ambigüe. Elle reflèterait l’aveuglement propre à la nature humaine. A cet égard, pour reprendre Paul Valéry, on pourrait évoquer une sorte de «Hamlet européen regardant des millions de spectres». Toutefois, se réjouit Philippe Meyer, le Rhin n’est plus un «fossé», mais un «lien» enserrant toujours davantage les Européens dans une véritable communauté de destin.
Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 25/10/2011 )
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