L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Histoire Générale  

Vincennes - Mille ans d’histoire de France
de Thierry Sarmant
Tallandier 2018 /  22,50 €- 147.38  ffr. / 398 pages
ISBN : 979-10-210-2157-0
FORMAT : 14,5 cm × 21,5 cm

Thierry Sarmant collabore à Parutions.com

Monumentale citadelle

.«Entreprendre l’histoire de la citadelle de Vincennes, ce serait presque vouloir écrire l’histoire de France» : en rappelant dès l’introduction ce mot d’Amédée Achard en 1867, l’auteur ne cache pas son ambition, qui transparaît aussi dans le titre. Il s’agit de montrer en quoi le château de Vincennes, cette citadelle monumentale aux portes de Paris, est, bien plus qu’un château royal, un lieu où s’est reflétée – plus qu’écrite peut-être – l’histoire de France tout entière. Les connaisseurs du site savent que la diversité de ses affectations au fil du temps, comme des bâtiments qui le composent de nos jours encore, font de Vincennes un lieu original, toujours hésitant entre ses vocations politique, royale ou princière, militaire, culturelle ou historique. Toutes les personnalités qui, depuis le début du xxe siècle, se sont attachées à préserver, restaurer ou mettre en valeur le château ont souligné cette singularité.

T. Sarmant s’inscrit en effet, avec l’élégance de plume et l’érudition qui caractérisent tous ses ouvrages, dans la suite de travaux qui forment maintenant une bibliographie substantielle, depuis Le Château historique de Vincennes à travers les âges de François de Fossa (1908) jusqu’au Château de Vincennes. Une histoire militaire de 2008, en passant par la revue de la Société des amis de Vincennes et les publications de J. Chapelot. Comme dans plusieurs de ses livres, l’auteur découpe son texte en récits d’événements qui sont autant de chapitres. Si la continuité historique en souffre parfois un peu, la lecture en est aussi facilitée, et l'on en tire une impression de promenade à travers les siècles, à sauts et à gambades aurait dit Montaigne, qui reflète finalement la destinée imprévisible du monument.

Le Moyen Âge est traité de façon rapide, en trois chapitres. L’institution par saint Louis d’un chapelain à Vincennes en 1248 est l’occasion de rappeler la naissance du manoir capétien et l’émergence d’une résidence en lisière de forêt appréciée des souverains ; entrent ensuite en scène Charles V, qui achève en 1369 la construction du donjon et fait élever la sainte chapelle et la spectaculaire enceinte aux neuf tours qui «donne au château la dimension d’une ville» (p.34), puis Henri V, roi d’Angleterre, qui, au cœur de la guerre franco-anglaise, vient mourir à Vincennes, âgé de trente-six ans, le 1er septembre 1422.

Onze chapitres brossent ensuite les trois siècles de l’histoire moderne, que l’auteur connaît particulièrement bien. Résidence royale, Vincennes s’embellit d’une chapelle achevée en 1552, puis d’un «deuxième château» élevé à l’intérieur de l’enceinte dans les années 1650, sur les plans de Le Vau, qui modifie profondément la perspective médiévale. Mais la concurrence de Versailles et l’irrépressible attraction de l’ouest parisien ont bientôt raison des charmes de Vincennes. Le château est délaissé par les rois après 1715 et entre dans une douce somnolence, à peine rythmée par les allers et venues des prisonniers, d’envergure fort inégale, qui se succèdent dans les cellules du Donjon.

L’avènement de la Révolution et les aléas de l’histoire de France au xixe siècle touchent le château de plein fouet : l’émeute de février 1791, l’assassinat du duc d’Enghien en 1804, la militarisation rapide du site sous l’Empire, l’internement des ministres de Charles X, puis, successivement, des vaincus de 1848 et de 1851… Chaque soubresaut de l’histoire nationale trouve son écho dans les murs de Vincennes. À la fin du siècle, après le siège dramatique de la Commune, l’armée règne quasiment sans partage sur la vieille forteresse et sur le bois ; les constructions militaires ont envahi l’enceinte, dont la superficie s’est trouvée doublée par l’aménagement du Fort neuf.

C’est alors que s’éveille autour du château une forme de conscience patrimoniale, bientôt relayée par les Beaux-Arts. S’ensuit un long combat contre l’administration militaire, qui vise à rendre à Vincennes sa splendeur passée et à en faciliter l’accès aux visiteurs. Après la tragédie qui ensanglante et ruine une partie du château en août 1944 – vingt-six exécutions sommaires de résistants, suivies du dynamitage par les Allemands des pavillons du Roi et de la Reine –, la Défense et la Culture conviennent progressivement d’un modus vivendi qui perdure : aux Armées, l’essentiel des bâtiments, qui abritent les archives militaires et accueillent leurs lecteurs ; à la Culture, le donjon et la chapelle, pour un parcours de visite spécifique. Ce beau programme faillit toutefois trouver une autre issue, l’architecte Jean Trouvelot s’étant proposé, avec l’accord d’André Malraux et du général de Gaulle, de faire de Vincennes la résidence présidentielle de la Ve République. L’auteur nous donne sur ce dernier projet, finalement abandonné, un chapitre très neuf, tiré de sources méconnues, qui permet de mieux comprendre la restauration et l’état actuel du pavillon du Roi et montre combien, de siècle en siècle, le château de Vincennes est tiraillé entre de multiples fonctions, et demeure un édifice paradoxal et inachevé.

Au terme de la lecture de cette brillante synthèse, enrichie des annexes nécessaires – bibliographie, état des sources, florilège de textes littéraires, chronologie, index –, on se prend à rêver que l’histoire, à Vincennes, n’ait pas dit son dernier mot.

Emmanuel Pénicaut
( Mis en ligne le 21/03/2018 )
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