L'actualité du livre
Histoire & Sciences socialeset Science Politique  

Jon Elster - Passions, raisons et délibération
de Benoit Dubreuil et Christian Nadeau
Editions Michalon - Le Bien commun 2011 /  10 €- 65.5  ffr. / 120 pages
ISBN : 978-2-84186-571-0
FORMAT : 11,6cm x 18,5cm

L'auteur du compte rendu : Alexis Fourmont a étudié les sciences politiques des deux côtés du Rhin.

Comprendre la réalité humaine

Né à Oslo en 1940, Jon Elster a fait ses études en Norvège, où dans les années 1960 il rédigea son mémoire de maîtrise sur la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel. Il quitta ensuite l’Europe du Nord pour préparer à Paris une thèse de doctorat en sociologie sous la direction de Raymond Aron. Son sujet portait sur la pensée politique de Karl Marx. Après avoir été professeur à l’université Paris VIII, Elster revint en Norvège, puis partit aux États-Unis et finalement regagna à nouveau la France. Depuis 2005, il est professeur au Collège de France, où il est titulaire de la chaire «Rationalité et sciences sociales».

Les sujets qu’il aborda en tant que chercheur sont d’une très grande variété. Ses contributions eurent un impact majeur sur des sujets aussi différents que l’œuvre de Marx, les théories de la décision et du jugement, la théorie des jeux et du choix rationnel, la rationalité et les émotions, l’économie du comportement, la démocratie délibérative, la transition constitutionnelle vers la démocratie libérale des pays de l’Europe de l’Est à la suite de l’effondrement de l’empire soviétique, ainsi que ce qu’il appelle la justice transitionnelle.

D’une grande érudition, Jon Elster n’hésite pas à lire et à commenter dans ses travaux scientifiques une kyrielle de moralistes du XVIIe siècle. Il cite ainsi très régulièrement des auteurs comme Montaigne, Shakespeare et Stendhal. Proust constitue, lui aussi, une référence qu’il ne manque pas de mentionner «en vue de mieux faire comprendre les nuances des comportements individuels et collectifs et la psychologie des agents». Si l’œuvre de Jon Elster n’est pas d’un abord aisé, les auteurs ajoutent que «ses travaux se donnent à lire comme un programme de recherche instruit par les découvertes de très nombreuses disciplines, en sciences humaines et sociales, mais également du côté de la psychologie et des sciences cognitives».

Très éclairant, l’ouvrage restitue la logique interne ainsi que l’évolution de la pensée développée par J. Elster. Les auteurs Bernard Dubreuil et Christian Nadeau se sont attachés à présenter de manière schématique «les principaux concepts et arguments autour desquels s’est construite cette œuvre». Ce qui est d’autant plus intéressant que si Jon Elster n’est pas un auteur systématique, la cohérence de son parcours intellectuel est évidente et parfaite.

Au cours de sa thèse de doctorat, qui posa certains des jalons de son programme épistémologique, Elster poursuivait notamment l’objectif d’expliquer les processus sociaux décrits et pensés par Marx sans recourir à «une grille d’interprétation où les structures collectives surplombent et dominent la volonté des agents. Il s’agissait pour lui plutôt de comprendre la dialectique des luttes de classes, celle des modes de production, les rapports d’exploitation ou encore les luttes pour la justice et la liberté, bref l’ensemble des phénomènes sociaux, en fonction des croyances et des motivations inhérentes aux individus». Il s’agissait également de battre en brèche «l’idée selon laquelle des entités supérieures aux individus gouvernent les actions de ces derniers comme s’ils n’étaient que les marionnettes de forces qui les dépassent».

S’il tend à rompre avec ce qu’il appelle le «collectivisme méthodologique» marxien fondé entre autre sur «l’explication fonctionnelle» et sur «la déduction dialectique», J. Elster n’adhère pas aux modèles explicatifs où la raison seule dicte les comportements. Il contribua notamment à montrer les limites de la théorie du choix rationnel, laquelle «affirme que des individus rationnels cherchent à maximiser leur intérêt étant donné leurs croyances et à adopter les croyances aussi valides que le permettent les données auxquelles ils ont accès».

Elster accorde en effet un rôle décisif aux «mécanismes», lesquels sont des «structures causales aisément reconnaissables et qui interviennent fréquemment, et qui sont déclenchés sous des conditions en général inconnues ou avec des conséquences indéterminées». Elster recourt souvent aux «mécanismes psychologiques» ainsi qu’aux émotions pour mettre en lumière l’irréductible part d’irrationalité que comporte toute décision humaine.

La particularité des recherches d’Elster tient à ce qu’il propose «une combinaison de méthodes et d’instruments tirés de la philosophie, de l’histoire des idées, des sciences sociales, mais aussi de la psychologie cognitive». Le Norvégien offre des outils exceptionnels pour saisir les infinies subtilités des «relations sociales». Il en va de même s’agissant «des échanges sociaux comme la coopération ou encore la délibération». Elster offre des «boulons» et «écrous» pour comprendre la réalité humaine.

Alexis Fourmont
( Mis en ligne le 19/07/2011 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)