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Mignonne, allons voir...
de Marc Lambron
Grasset 2006 /  14.90 €- 97.6  ffr. / 200 pages
ISBN : 2-246-72031-1
FORMAT : 18,8 x 11,8 cm

Maldonne sur la Madone

«Habemus papam»… Cette fois, c’est officiel, le Parti socialiste s’est désigné un héraut… ou plutôt une héroïne, pour porter ses couleurs en 2007. Et la question qui s’impose, paradoxalement dans le cas de ces personnages censément publics, c’est : «qui se cache derrière Ségolène Royal ?». Car en dépit d’un plan médiatique savamment orchestré, fondé sur la proximité et l’alternative aux «politiciens» et autres éléphants socialistes (ce qui est drôle pour une politicienne), on ne sait pas grand-chose de la dame ni de ses idées (pour le moment, les «désirs d’avenir» relèvent plutôt du non-dit fantasmatique). Et donc, l’heure est à la glose, à l’exégèse socialiste : on convoque fakirs et pythies pour tenter de discerner un avenir ségolénien. 2007 sera un duel de communicants, 2008 sera un autre siècle ! Quo vadis, Mme Royal ?

Marc Lambron est l’homme qui tombe à pic (du moins son ouvrage, pensé au temps où La candidate n’était encore qu’une simple candidate et publié quasiment le jour de l’élévation à la pourpre, ou plutôt à la rose)… Brillant garçon passé par Normale sup (il le répète à longueur d’ouvrage, preuve qu’il y a été heureux) et Science-Po (où il a eu Hollande comme prof), il s’est, comme nombre de gens de gauche, intéressé à ce débat politique «people» (le programme ayant été arrêté avant le candidat, il ne restait plus à ces derniers qu’à défiler sur une estrade en bikini et attendre le vote du public). Dans son excellente analyse du phénomène Ségolène, phénomène qu’il replace très méthodiquement dans son contexte (dans la famille socialiste, je voudrais le grand-père – François Mitterrand – le père – Lionel Jospin – et le mari – François Hollande), Marc Lambron tente le coup de la généalogie intellectuelle, qui fait de Ségolène la fille secrète (culturellement s’entend) de Mitterrand et l’antithèse astrale de Jospin. C’est un peu vicieux pour une candidate qui entend justement se distinguer de ses prédécesseurs et de leur entourage, mais c’est très convaincant, assez original et plutôt heureux.

Dépeignant autant que possible la culture politique de Ségolène Royal – mais on reste dans l’hypothèse, faute d’un coming out intellectuel de la «ci-devant» femme de gauche -, M. Lambron s’amuse, et nous amuse, à tirer le portrait de près de 30 ans de socialisme à visage humain. Tous les héritages y passent, en bonne culture politique : marxisme, trotskisme, christianisme, gaullisme refoulé. Avec Ségolène, c’est un peu le portrait d’une génération qui aura attendu en piaffant d’arriver aux manettes, et qui est prête, pour cela, à jouer les tontons flingueurs.

Ecrit d’une plume leste, inspirée, volontiers sentencieuse («les bobos parlent à la gauche caviar»), nourrie à la formule percutante et à l’aphorisme de bon goût, l’ouvrage se lit d’une traite, revigorant comme une belle analyse politique d’un phénomène qui ne l’est peut-être pas tant que ça. Sous la plume enjouée de M. Lambron, Ségolène s’éclaire d’une lueur originale, à mi-chemin de Jarnac et de Domrémy. Certes, des interrogations demeurent, que la dame entretient à coup de petites phrases et sourires entendus. «Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur»...

On voudrait pouvoir dire, à la dernière page, «Ségolène, je vous ai comprise», mais au final, les écrivains ont plus de choses à dire, et plus originales, que la candidate elle-même. Misère de la démocratie à la sauce médiatique.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 24/11/2006 )
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