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Chardonne, c'est beaucoup plus que Chardonne de Pol Vandromme Le Rocher 2003 / 12 €- 78.6 ffr. / 80 pages ISBN : 2268046133 FORMAT : 14 x 21 cm Vandromme, c'est beaucoup plus que Vandromme ! Jacques Chardonne est un écrivain méconnu, et c’est fort dommage. Soyons précis : ce romancier né en 1884 à Barbezieux dans une riche famille de manufacturiers, homme de lettres fin et racé, intime de Blum, Nimier ou Montherlant, spécialiste du roman intimiste bourgeois – version eau de rose en moins –, ciseleur de mots et ardent défenseur de la phrase juste, précise, est surtout connu et admiré des spécialistes, mais peu du grand public. Outre son talent de peintre des mœurs, Chardonne se distingue également par une nonchalance désabusée et un propos délicieusement provocateur. Mais des prises de position politiques très malheureuses en 1940 – une union européenne sous hégémonie allemande – lui valurent une peine de prison et un statut d’écrivain réactionnaire, tout à fait dommageable pour sa postérité (il mourut en 1968). Il n’en fallait pas plus pour intéresser Pol Vandromme, immense et iconoclaste essayiste belge, dont Le Rocher ressort le petit ouvrage consacré à l’écrivain, sorti en 1962, et dont le titre saugrenu, Chardonne c’est beaucoup plus que Chardonne fait écho à une phrase de Chardonne : «L’amour, c’est beaucoup plus que l’amour ; il y entre toujours autre chose, l’esprit après les sens, et puis l’âge, la douleur.» (p.43) Vandromme, dont les coups de cœurs sont aussi nombreux que variés – Anouilh, Déon, Sagan, Céline, Simenon, Félicien Marceau, Hergé… – donne ici la pleine mesure de son talent pour rendre hommage à Chardonne, cet «auteur qui intimide le mauvais goût et embarrasse le snobisme». Avec son panache habituel, l’essayiste fait courir sa plume rebelle en écho à celle de Chardonne, et s’unit à l’écrivain dans un même mépris pour l’absence de style, la profusion, le trop-plein : «L’absence de style, et même le charabia, ont une cote excellente. Ce sera la honte durable de cette fin de siècle. Par chance, l’étalage de la sottise snobinarde n’a embabouiné que des femmes savantes et des dirigeants d’associations poldaves, peu de monde en somme.» (p.27) On découvre un Chardonne intime, auteur d’une œuvre qui mêle autobiographie et réflexion humaniste, capable, dans une même prose fragile et humble, de «cerner le je ne sais quoi, moduler la voix de l’indicible, décoder les énigmes» (p.46). Et Pol Vandromme de se rallier à la vision qu’avait Chardonne de l’amour, du couple, pourfendant la passion, dont il ne naît rien, mais célébrant la durée, la persévérance, le partage. Homme amoureux, contemplatif, curieux mais distant – ce détachement dont il fait preuve fait parfois penser à quelque pause bouddhiste – Chardonne reste un écrivain d’exception, perdu dans la profusion du siècle, qui hélas consacra de plus mauvais que lui. En ces temps de rentrée littéraire, où les livres se multiplient comme autant de petits pains pas toujours frais, il fait vraiment bon de découvrir cet essai sur Chardonne… qui écrivait en son temps : «Je dis aux jeunes écrivains : écrivez le moins possible. Écrire trop, se produire de toute manière, avilit. Restreindre ses besoins. Tout est payé trop cher maintenant. Refuser les objets du diable qui ne valent pas leur prix. Seul luxe désirable : le loisir et le silence. L’avenir est à ceux qui se contenteront de peu.» (Chardonne, Lettres à Roger Nimier, Grasset). Caroline Bee ( Mis en ligne le 06/08/2003 ) |
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