L'actualité du livre
Philosophie  

Pensées
de Joseph Joubert
Rivages - Poche 2016 /  10 €- 65.5  ffr. / 461 pages
ISBN : 978-2-7436-3487-2
FORMAT : 11,0 cm × 17,0 cm

Thierry Clermont (Préfacier)

Le Moraliste intransigeant

«On est moins ennemi de ceux qui nous haïssent que de ceux qui nous méprisent». (Joubert)

Joseph Joubert (1754-1824) fait partir de ces moralistes français importants mais malheureusement assez peu connus (contrairement à Chamfort son contemporain), à la croisée du XVIIIe et du XIXe siècles. Il fut le compagnon littéraire de Chateaubriand que ce dernier édita de manière posthume en 1838 sous le titre Recueil des pensées de M. Joubert. C’est ce même recueil que publie courageusement Rivages avec un classement thématique par l’auteur d’Atala. Sur l’œuvre de son ami, François-René est éloquent : «Jamais pensées n’ont excité de plus grands doutes dans l’esprit, n’ont soulevé de plus hautes questions et préoccupé davantage». En effet, l’ouvrage est construit sous forme de parties thématiques comportant la religion (Joubert fut un fervent catholique), le Jansénisme, la politique, l’éducation, les différents âges de la vie, la littérature, les écrivains, et lui-même.

Esprit vif et éclairé, cet écrivain sans œuvre sinon posthume se situe dans la tradition française du moralisme total. Ses pensées construisent un manuel de savoir vivre, aimer, prier, donner et recevoir. L’écrivain parle souvent de morale (religieuse la plupart du temps) mais sa biographie montre bien à quel point il a su mettre en pratique ses préceptes, notamment dans l’amour et la compréhension de son prochain.

Celui qu’on taxerait de réactionnaire catholique aujourd’hui est en fait un philosophe intègre chez qui la retenue, la croyance en Dieu et la posture morale comptent par-dessus tout. Témoin de la terreur sous Robespierre, il sait de quoi il parle quand il écrit : ''Il faut aimer de Dieu ses dons et ses refus ; aimer ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas''. Ou encore : ''La peine du talion n’est pas toujours équitable quand elle égalise, mais elle est toujours atroce quand elle excède''.

Tout chez Joubert (qui ne brille pas par son style malheureusement) est dans la compréhension du monde (le céleste expliquant le terrestre), le respect de la vie humaine et dans une certaine mesure la critique de la pensée dominante (chez Voltaire ou Rousseau qu’il égratigne au passage !). Ce qu’il y a de plaisant dans la lecture d’un tel moraliste, c’est que l’on oscille entre des préceptes très stricts sur la morale - «La crainte de Dieu nous est aussi nécessaire pour nous maintenir dans le bien, que la crainte de la mort pour nous retenir dans la vie» - et un certain degré de subversion quant aux mœurs rigides et archaïques usuelles : «Si l’apathie est, comme on le dit, de l’égoïsme en repos, l’activité qu’on vante tant pourrait bien être de l’égoïsme en mouvement. C’est donc l’égoïsme en action qui se plaint de l’égoïsme en repos».

Comme chez Chamfort, ou plus tard Cioran, il y a du révolutionnaire en chaque moraliste, homme évoluant dans une société qui lui devient de plus en plus insupportable. Joubert est un écrivain qu’il faut consulter régulièrement et cet ouvrage est donc le bienvenu aujourd’hui.

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 18/03/2016 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)