| Christophe Till Geissler Lamelles Serpent à plumes - Domaine Français 2008 / 19 € - 124.45 ffr. / 237 pages ISBN : 978-2-268-06617-2 FORMAT : 13,5cm x 20,5cm
Date de parution : 25/08/2008.
L'auteur du compte rendu : Ancien élève de lÉcole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégé de Lettres Modernes, Fabien Gris est actuellement moniteur à lUniversité de Saint Etienne. Il prépare une thèse, sous la direction de Jean-Bernard Vray, sur les modalités de présences du cinéma dans le roman français contemporain. Imprimer
Enfin linjustice est réparée. Foin des romans sur lâme, sur lamour, sur Dieu, sur les passions, sur le monde tel quil va : place désormais, dans la littérature, aux champignons. Christophe Till Geissler, pour sa première fiction, choisit de rendre hommage à ces hôtes des forêts, si nécessaires à la survie de notre monde. Mettre en mots cette profonde histoire damour qui lunit depuis lenfance à ce peuple mystérieux et fascinant de chapeaux, de lamelles et de spores.
Christophe Till Geissler choisit déchafauder son texte comme le secret mycélium* (*«Mycélium : BOT. Ensemble de filaments plus ou moins ramifiés formant la partie végétative d'un champignon») qui se propage sous terre : Lamelles se construit à la manière dune suite de petits récits ou de petits textes descriptifs, tantôt anecdotes, historiettes, tantôt nomenclatures botaniques, tantôt fantaisies langagières, supercheries littéraires, prosopopées, voire recettes de cuisine (croûte aux morilles et pointes dasperges ; tourte aux russules ; sole aux coprins chevelus : voilà qui aurait ravi Brillat-Savarin, celui qui a élevé la recette culinaire au rang dobjet littéraire), ou bien encore pastiches. Construction proliférante, en rhizome, dont le point de capiton est le champignon, objet unique des attentions de lauteur, petit dieu fascinant dont il faut urgemment parler.
On aurait tort de ny voir quun exercice de style, une sorte de défi littéraire un peu vain jouant sur la surprise et létonnement du lecteur. Cest bien à une réhabilitation que se livre Christophe Till Geissler, en nous conviant à cette conversion de notre regard : baissons les yeux, contemplons ces beautés insoupçonnées, prenons en compte ce morceau de réel à nos pieds. Dans ses premières pages, le projet littéraire de Lamelles prend des accents étonnamment pongiens : «Cette chose rencontrée qui, dans le silence, nous prie humblement de leffleurer de notre verbe pour lextraire des limbes de lindifférencié, nous demande de la nommer» (p.18). Dans ses différents «partis pris des choses», Francis Ponge avait oublié le champignon ; voilà lomission réparée.
Certes, lécriture de Christophe Till Geissler est parfois maladroite, avec des répétitions, des digressions peu heureuses, et le style est quelquefois par trop «appliqué» et scolaire. Il nempêche : le texte provoque chez le lecteur une profonde empathie. Comment rester insensible face à léloge de loronge, comment ne pas sourire à lévocation du Phallus impudicus, véritable satyre de nos sous-bois, comment ne pas trembler à lécoute de la prosopopée de lamanite phalloïde, femme fatale et vénéneuse
? Comment ne pas se précipiter dans la première forêt venue, après avoir lu quelques pages ? Les récits de Lamelles sont des promenades, des cueillettes littéraires, des fantaisies mycologico-autobiographiques, pleines dhumour et de tendresse : «Je vous invite à fouler avec moi un humus faits de souvenirs innombrables» ; la promenade bucolico-littéraire est des plus agréables.
Ce dont Christophe Till Geissler nous parle au fond, cest du thème de la rencontre : de létonnement, de lémerveillement et de la fascination quelle peut provoquer. Rencontre avec des mots tout aussi bien, là encore à la manière de Ponge ; à notre tour, ne résistons pas à lenvie de prolonger ce plaisir de la nomination : russule charbonnière, calopore des brebis, clitopile petite prune, marasme échalote, hygrophore des poètes, tricholome tigré
Mystérieuse et poétique société secrète dans laquelle Christophe Till Geissler nous aide à entrer avec ce livre attachant.
Fabien Gris ( Mis en ligne le 13/10/2008 ) Imprimer | | |