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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Delphine Coulin Les Mille-vies Seuil 2008 / 15 € - 98.25 ffr. / 156 pages ISBN : 978-2-02-098261-0 FORMAT : 14cm x 20,5cm
Date de parution : 21/08/2008. Imprimer
Jouer des apparences pour mettre à jour l'essence du réel, tel est l'objectif étrangement paradoxal du comédien. Peut-être est-ce parce qu'il «n'y a pas d'autre vérité que la fiction» (p.152) ? Dorine M, légende du cinéma français, ne peut s'empêcher d'y songer tandis qu'elle feuillette l'album de ses souvenirs ; les vingt-quatre heures des Mille-vies s'égrènent, et avec elles resurgissent les femmes qu'elle a incarnées le temps d'un film. Ce soir, la réalisatrice aura fixé définitivement, une fois de plus, son image dans un film. Et les héroïnes auxquelles elle a prêté son corps, son charme, sa fragilité en trente-sept ans de carrière, elles sont nombreuses sont là pour la soutenir, lui révéler sa force et sa multiplicité. Se souvenir d'elles c'est se découvrir : elle n'a été aucune de ces héroïnes, mais ces héroïnes n'ont été qu'à travers elle : n'est-ce pas proprement incroyable ?
En la suivant tout au long de ses pérégrinations intérieures le lecteur rencontre des jeunes femmes, toujours belles, dont les répliques renaissent bizarrement, des années après, sur les lèvres de Dorine ; il rencontre des amoureuses et des intrigantes dont les rêves et les impressions reprennent vie de façon imprévisible. Après tout, n'est-ce pas normal quand elle a mis dans ces personnages une part d'elle-même ? Le spectacle cinématographique étant fondé sur l'impossible postulat d'une identité absolue, à l'écran, entre un être humain réel et une image, elle n'avait pas vraiment le choix : refuser de devenir l'ombre imaginée par un metteur en scène, ne pas vouloir se fondre dans un être de fiction, c'est accepter de donner au personnage quelque chose de sa propre existence, accepter de vivre réellement, elle, Dorine M, dans la peau de ce personnage. Elle ne peut pas, une fois le film terminé, réintégrer une identité véritable et cesser de faire semblant d'être une autre. Aussi, chacune des femmes qu'elle a incarnées à l'écran l'a marquée au point de faire partie de sa vie en la révélant, a imprimé plus profondément encore l'empreinte d'un métier, celui de caméléon.
Elle est fière de cette identité si spécifique, et pourtant consciente des limites de la protection quelle lui offre. Car la journée de tournage entamée en même temps que le roman nest pas une journée ordinaire : cest la dernière et la plus délicate. Lune des scènes quelle doit tourner, la scène damour, la renvoie directement à sa double personnalité femme de spectacle et mythe vivant dune part, âme véritable dans un corps périssable de lautre. La deuxième scène au programme, que par un accord tacite tous appellent «la scène difficile» la place au pied du mur : tout est-il jouable ? Est-ce que lon peut utiliser nimporte quel instant de son existence, nimporte quelle souffrance, pour en extraire la substance nécessaire à la réussite dune scène de cinéma ?
Toute lintrigue des Mille-vies repose sur le suspense autour de cette fameuse scène ; mais son intérêt tient quant à lui à lextension de cette expérience si particulière à des enjeux plus généraux. Et, comme beaucoup douvrages fondés sur un ressort principalement psychologique, le roman de Delphine Coulin flirte bien souvent avec la ligne de la banalité : lauteur connaît son sujet (elle a travaillé dans le milieu de laudiovisuel) et parie sans doute trop sur lattirance habituelle quil suscite. La vie dune actrice est parfois passionnante. Le sujet abordé, celui des frontières de lidentité, lest également. Mais peut-être la brièveté du texte offert à la lecture empêchait-elle D. Coulin daller au-delà de cette approche finalement assez superficielle de la question ; quelques très belles fulgurances éclairent le texte et les prémisses de développements prometteurs sont décelables ici et là, mais sans jamais rien apporter, hélas, que des espoirs déçus.
Aurore Lesage ( Mis en ligne le 22/10/2008 ) Imprimer | | |
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