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Blagues à part…
Adam Biro   Le Marchand de lunettes - Et mes autres histoires juives
Belfond 2009 /  18 € - 117.9 ffr. / 229 pages
ISBN : 978-2-7144-4484-4
FORMAT : 14cm x 22,5cm
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On connaît la célèbre phrase de Pierre Desproges : on peut rire de tout... mais pas avec n’importe qui. Cette maxime se vérifie particulièrement avec les histoires drôles portant sur la religion, quelle qu'elle soit. Il semble que la période actuelle ne nous permette pas de rire de grand chose, justement, et soit plutôt favorable à un climat de suspicion généralisée, conduisant à peser chaque mot employé.

Adam Biro nous propose de prendre un peu de recul face à ce contexte plein de gravité, en nous offrant une série d'histoires drôles, ou encore de Witz, selon le terme allemand qu'il utilise, qui prennent comme thèmes le peuple juif et son histoire. Juif hongrois lui-même, installé à Paris où il dirige une maison d'édition de livres d'art, il se met d'emblée, par cette identité qu'il affiche et réaffirme sans cesse, dans une position de légitimité qui le protège de toute polémique. En effet, qui semble mieux placé pour écrire sur les Juifs et rire d'eux qu'un auteur qui revendique lui-même sa judéité ?

C'est donc avec beaucoup d'autodérision, mais aussi avec une certaine tendresse, qu'Adam Biro joue sur les clichés, en maniant les associations traditionnelles : le rapport des Juifs à l'argent (à travers la figure du Juif usurier), le rôle de la famille, l'importance de Dieu, même pour ceux qui revendiquent leur athéisme («Je dois faire un aveu : je n'ai pas eu de rabbin dans ma famille», p.51), l'exil perpétuel, les persécutions («Salauds de Juifs ! C'est toujours les mêmes qui sont favorisés !», p.101), les relations entre Juifs occidentaux, Juifs d'Europe de l'Est et Israël («Un sioniste, c'est un Juif qui envoie en Israël un deuxième Juif, avec l'argent d'un troisième», p.109), etc. Ses personnages s'appellent tous ou presque Kohn et Grün, Moïse et Shlomo, ou encore Salamon.

Mais il ne s'agit pas de simples blagues ; chaque texte forme plutôt une courte nouvelle. Adam Biro en développe la trame narrative, de manière à lui donner une ampleur quasi romanesque, en retardant le plus possible la chute humoristique finale. Au fil du recueil, on voit réapparaître les mêmes personnages, auxquels le lecteur s'attache peu à peu. Pour chaque histoire, un chapeau retrace le rapport personnel de l'auteur à ces courts récits : dans quelles circonstances il les a appris, qui les lui a transmis, etc.

Dans son recueil précédent, Deux Juifs voyagent dans un train, l'auteur avait déjà pour objectif de transformer en nouvelles des histoires drôles bien connues. Dans le présent ouvrage, il a souhaité aller plus loin encore : «Il ne s'agit pas pour moi, ici, de raconter les blagues, mais – excusez cette immodestie – de faire œuvre littéraire. J'ai aussi essayé d'approfondir mes nouvelles, les actualiser, les politiser, les relier à la grande Histoire – récente ou ancienne» (p.7). Il s'est donc livré, tel un historien, à des recherches documentaires, allant même jusqu'à consulter les grands textes fondamentaux du judaïsme, pour tenter de retrouver, à travers ces histoires circulant depuis longtemps, l'essence du peuple juif, les traits qui composent son identité fondamentale. Ces récits humoristiques ne valent pas seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour ce qu'ils nous révèlent de «l'être juif».

Cet «être juif» inclut nécessairement l'Histoire de ce peuple, une Histoire marquée par des épisodes douloureux, comme chacun sait. Adam Biro ne manque pas de nous le rappeler, parfois avec ironie, au détour d'une parenthèse : «[...] Paris, France. Nous parlons de la Ville lumière, celle de la Déclaration des droits de l'homme (soixante-quinze mille Juifs ramassés par la police française pendant l'Occupation dans toute la France ont été ensuite déportés par les Allemands dans les camps...)» (pp.25-26). Au-delà de l'humour, pèse le souvenir de ces événements récents.

S’ensuit une réflexion sur l'antisémitisme : où commence-t-il ? A propos de la nouvelle intitulée «La force (de conviction)», l'auteur nous relate comment il est entré en débat sur ce point avec sa femme, car celle-ci jugeait cette histoire résolument antisémite. «[...] ses critiques seraient justifiées si l'histoire était racontée par quelqu'un d'autre et ailleurs. Cependant, publiée ici, écrite par moi, dans ce contexte, elle n'est pas plus condamnable que les autres blagues de ce livre. [...]. Les histoires présentent, certes, les Juifs sous leurs aspects négatifs, mais toujours avec indulgence, et ces aspects sont contrebalancés par des côtés positifs» (pp.109-110).

Or, cet argumentaire laisse échapper une contradiction fondamentale : si Adam Biro reconnaît que la moquerie constitue l'essence de l'homme, qui rit des autres pour mieux se corriger lui-même de ses travers, et s'il assimile l'histoire juive à n'importe quelle autre histoire drôle, il reconnaît néanmoins que seule une énonciation juive écarte l'accusation d'antisémitisme, mais aussi que le fait d'insister sur les aspects positifs du peuple juif, contrebalançant ainsi ses aspects qui pourraient paraître risibles, «rachète» en quelque sorte la blague en la rendant «acceptable». L'histoire juive n'est donc pas assimilable à l'histoire belge, ou corse. Tandis qu'un Français peut raconter une histoire belge, mettant en scène un parfait imbécile, sans prendre le risque d'être accusé de racisme (et les Belges ont raison de bien nous le rendre), faire rire des Juifs sans être soi-même juif ne garantit pas la même innocence. L'auteur ne résout pas ce paradoxe et préfère inclure l'histoire juive dans une sorte d'universalité de l'histoire drôle.

Pour conclure, on précisera que l'objectif de ce livre n'est pas de déclencher le fou rire du lecteur : il s'agit plutôt de faire sourire et de donner de l'«optimisme» (p.222) aux Juifs. Une petite histoire réconfortante face à une Histoire si pesante. Pour ce qui concerne les non-Juifs (les «goy»), ce livre entend leur donner des clés propres à saisir une culture (voir le glossaire donnant des définitions de termes d’hébreu ou de yiddish). Ces histoires ne se veulent en aucun cas figées à tout jamais. Parfois offertes avec leurs variantes, elles doivent continuer d'évoluer, de vivre en se modifiant. Adam Biro appelle ainsi le lecteur à s'approprier la matière du texte, pour lui offrir une continuité : «Cette histoire – comme toutes celles de ce livre – est à vous. Faites-en bon usage ; c'est-à-dire : changez-la à votre guise. Pourvu qu'elle ne meure pas» (p.134).


Françoise Poulet
( Mis en ligne le 24/06/2009 )
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