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Roman par l'être
John Berger   De A à X
L'Olivier 2009 /  19.50 € - 127.73 ffr. / 207 pages
ISBN : 978-2-87929-630-2
FORMAT : 14cm x 20,5cm

Traduction de Katya Berger Andreadakis.
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Xavier (ou quel que soit son nom), accusé d'avoir fondé un réseau terroriste, a été condamné à deux peines de réclusion criminelle à perpétuité. Aïda, sa compagne, est libre et l'attend à l'extérieur. Elle ne peut lui rendre visite : leurs demandes d'union sont rejetées les unes après les autres, et le statut d'épouse est indispensable pour accéder au parloir. Alors elle lui écrit. Un avertissement au seuil de l'ouvrage nous apprend que John Berger a recueilli les paquets de ses lettres lorsque la vieille prison du centre-ville de Suse, antique cité située dans l'actuel Iran, a été transférée dans de nouveaux locaux. Le prisonnier de la cellule n°73 avait soigneusement conservé les lettres qu'il avait reçues au cours de sa détention dans ces lieux.

John Berger, tout comme bon nombre d'auteurs du XVIIIe siècle, période clé dans l'histoire du roman par lettres français, reprend le topos de la correspondance «trouvée» par hasard et publiée en l'état. Il se présente comme le simple transcripteur des lettres découvertes dans l’ancienne cellule de Xavier. Ce topos constitue un gage d'authenticité, une manière de rejeter la paternité de l'œuvre pour s'effacer presque intégralement derrière ses personnages et faire de la voix d’Aïda une parole authentique. Il serait inexact de parler d’un échange épistolaire : les lettres de celle qui se donne le prénom d’Aïda sont longues, développées. John Berger, sans nous révéler comment, s’est même «procuré» des lettres qui n’ont jamais été envoyées. En revanche, nous n’avons pas accès aux réponses de Xavier. Toutefois, les annotations qu'il a parfois réalisées au dos des lettres de sa compagne sont elles aussi retranscrites dans le roman. Même si elles ne répondent pas directement aux paroles reçues, elles recréent indirectement une forme d'échange. On pense ainsi aux héroïdes, ces lettres d’amour élégiaques fictives reliant un couple d’amants fantasmés, genre épistolaire ayant traversé la culture occidentale depuis l'Antiquité.

Les lettres d’Aïda sont des messages d’amour, cela va de soi. Mais au-delà, il s’agit de décrire à l’absent un monde qui lui est familier, tout en lui étant devenu étranger dans la mesure où il ne peut plus y pénétrer. Aïda tente donc d'y remédier en lui décrivant le quotidien qui l’entoure, un quotidien héroïsé, sublimé par le fait que Xavier n’y a plus accès. Ses lettres élaborent ainsi une véritable poétique à partir de cette familiarité commune. Elles s'instituent en intermédiaires entre le monde et celui qui en est exclu ; elles disent la beauté des choses simples, des lieux qui entourent la maison : elles rappellent ce que c'est que de préparer le repas, de sortir sous l’orage pour sentir le contact de la pluie, de marcher sur une route, de reconnaître l’odeur du cassis. Au milieu de cet univers perturbé par l’absence, tout retrouve un nouveau sens pour rétablir le lien avec l’aimé. Chaque fait et geste anodin est décrit avec une attention inhabituelle, comme un élément dont l’importance serait déterminante.

Mais ces lettres tentent aussi, en vain, de combler le manque, de rétablir une sensualité entre deux êtres qui n’ont même plus accès à la voix, à la peau de l’aimé(e). «Chaque nuit, je t'assemble à nouveau – un os après l'autre, tous délicats» (p.26). Aïda se tourne vers le passé. Les lettres permettent encore de transmettre (des objets, des paroles) ; elles essaient tant bien que mal de maintenir le lien. Mais l’écriture épistolaire se fait alors monologue, conversation de soi à soi, comme dans un journal intime. Aïda parle à Xavier en songe, par la pensée, mais aussi dans des lettres dont elle sait pertinemment qu’elle ne les enverra pas. Face à l’agressivité du monde extérieur, ses écrits sont une façon efficace de résister, le seul moyen qu’on ne peut lui enlever.

Les messages politiques inscrits par Xavier au dos de ses lettres peuvent paraître impersonnels et décalés face aux déclarations d’amour quotidiennes que lui adresse Aïda. Mais ils entrent en fait en parfaite résonance avec ses messages à elle. Les deux amants restent unis dans le même combat : elle continue de se battre à l’extérieur, cache certainement des allusions à ses activités de résistance sous des mentions banales, lui lutte de l’intérieur, avec le peu de moyens qu’on lui laisse. Le faible ancrage spatial (une ville presque disparue) et temporel (les lettres ne sont pas classées par ordre chronologique) du combat mené par les personnages donne à ce roman épistolaire une forme d’universalité revendiquée. Les lettres témoignent d'une lutte intégrale et violente de l'être pour un monde plus égalitaire et plus juste, tout comme d'une volonté d'échapper à l'oubli, qui peuvent s'appliquer à chaque lieu et à chaque temps.


Françoise Poulet
( Mis en ligne le 10/07/2009 )
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