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Alger sous morphine
Francine de Martinoir   L'Aimé de juillet
Editions Jacqueline Chambon 2009 /  19,80 € - 129.69 ffr. / 260 pages
ISBN :  978-2-7427-8591-9
FORMAT : 12,5cm x 19cm
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Retour embrumé sur un Alger en fleurs en même temps qu'en guerre, L'Aimé de juillet est un roman d'apparence complexe, dans lequel tout trahit une irrésistible inclination à la passivité. Octavie est une dame âgée lorsqu'en 2003 quelques mots mi-énigmatiques, mi-emphatiques font irruption au milieu de ses premières pensées confuses, en salle de réveil : «C'est une très vieille âme !» (p.13). La phrase avait un jour été lancée pour définir Tancrède Préfailles, officier français qui fit de la jeune agrégée corse qu'elle était plus de quarante ans auparavant son épouse. Lorsqu'elle divorça et quitta la ville blanche, alors en proie à une bataille d'autant plus féroce qu'elle était souterraine et jouée d'avance, elle avait refusé de penser davantage à ce – et celui – qu'elle laissait.

Mais les souvenirs ne peuvent pas toujours être maintenus à l'écart et quand l'annonce de la mort de Tancrède vient par un rocambolesque hasard la frapper précisément au moment où, après l'opération, l'immobilité forcée est son lot, elle se laisse aller à redécouvrir ce passé qui lui est presque étranger. Les questions de Georges, son compagnon, jamais vraiment intime pour autant, ainsi que la morphine qui répand dans son corps un état de douce indolence, tout contribue à créer une ambiance magique dans laquelle elle peut penser sans crainte à «celui qui [lui] avait été prêté quelques heures et qu ['elle avait] envie d'appeler L'aimé de juillet» (p.261), ainsi qu'elle se le remémore apaisée à la dernière page du roman.

Cependant il n'a pas été que cet homme, elle le sait ou plutôt le devine, et c'est le doute énorme qui pèse sur les activités de celui qui sût être un mari tout à la fois prévenant et absent qui la ronge et l'écrase, qui l'a empêchée de retourner plus tôt sur les ruines de leur brève vie commune. Du moins, c'est là ce qu'Octavie Delgodère (et derrière elle Francine de Martinoir) affirme. Car, au fil des descriptions se dessine le personnage d'une jeune fille, d'une femme trop fascinée par les sensations et les émotions qui l'envahissent pour oser interrompre leur cours et agir, trop engourdie de vertiges esthétiques pour prendre le réel au sérieux ; ou plutôt, Octavie est persuadée que le réel se trouve dans tout ce que suggèrent des images qui s'entrechoquent, se renvoient l'une à l'autre, et non dans le déroulement d'une action, décomposable en une suite de micro-événements.

Peut-être qu'à côté de la douleur et de l'angoisse il y a aussi de la part d'Octavie une certaine conscience du décalage entre une période historique et concrète d'une part, et la manière dont elle l'a vécue, qui ne lui laisse en guise de souvenirs qu'une série d'atmosphères subjectives. Tout comme elle s'est sentie honteuse d'avoir pris le tatouage que Tancrède a ramené de Buchenwald pour le numéro de téléphone d'une rivale (honteuse à l'idée qu'il puisse la considérer frivole, et non parce qu'elle aurait réalisé combien c'était déplacé), il est envisageable que quelque chose en elle ait saisi les implications de son attitude d'intellectuelle sensible considérant les faits comme des détails non-essentiels. Finalement, est-ce Tancrède dont l'âme est souillée par les atrocités qui se commettaient dans son corps d'armée, qu'il a peut-être commises? Ou bien serait-ce sa conscience qui la tourmente ?

Il semble que le poids des enjeux politiques, par exemple, lui échappe absolument et ainsi qu'elle n'ait pu voir les réseaux de soutien au FLN s'organiser sans considérer qu'il s'agissait de tableaux humains et visuels intéressants ; cela explique qu'elle passe d'un camp à l'autre sans même supposer qu'il s'agisse de quelque chose d'important, qu'elle subisse les changements de regard à son égard avec fatalité, sans chercher à s'expliquer, se justifier, puisqu'elle n'a en réalité rien choisi. De même avec Tancrède, avec Georges, elle attend, qu'ils viennent la chercher, qu'ils la prennent sous leur toit, qu'ils lui parlent. Le monde de l'action lui est étranger, et elle ne prend ses seules vraies décisions que sous l'impulsion du moment. C'est probablement la raison pour laquelle l'histoire des femmes de sa famille corse est mise en avant et reliée à la sienne : ce sont des épouses, des soeurs, qui ont attendu patiemment leurs hommes partis à la guerre, depuis la nuit des temps.

Le rythme lent de la narration et les mélanges entre retours en arrière, considérations présentes, évocations artistiques ou historiques laissent parfois le lecteur un peu étourdi par la multitude de sensations retranscrites, mais la ligne du scénario finit par se dégager des vapeurs floues qui l'estompaient, de la même manière qu'une forme de vérité finit par surgir dans l'esprit d'Octavie. Pour autant, celui qui lirait L'Aimé de juillet comme un essai sur la guerre d'Algérie serait sans doute un peu dérouté, le roman étant plutôt celui d'une jeune femme qui a tout fait pour ne voir du conflit que ce qu'on voit quand on est une petite métropolitaine qui laisse «l'illusion» de la guerre aux autres.


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 30/09/2009 )
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