| Silvio Huonder Adalina La Dernière goutte 2009 / 20 € - 131 ffr. / 288 pages ISBN : 978-2953054057 Imprimer
Maculin est berlinois. Il travaille comme illustrateur, en vit à peu près, et semble bien installé en Allemagne. Pourtant, Maculin était suisse. Il est né dans une petite ville dune vallée de montagne, y a grandi et connu les rites de passages de ladolescence. Et cest dans cette petite ville quil retourne un beau jour, ou plutôt un jour gris comme les autres. Il monte dans un train presque par hasard, pourrait rebrousser chemin, et pourtant finit par revenir là doù il est parti cest en fait tout sauf un hasard. Maculin a laissé quelque-chose de lui-même là-bas. Peut-être ne sait-il pas quoi, ou peut-être le sait-il très bien et cherche-t-il à loublier, à se convaincre que ce nest pas ce que cela paraît, ou juste que les autres ne le savent pas, ou encore veut-il à la fois séchapper tout en se rapprochant de lindicible, tourner autour de ce qui est trop lourd à avouer, à savouer même, et ne pas franchir le pas. Ou le franchir, quand il termine par y être acculé.
Très probablement, Maculin erre sans conscience de sa volonté. Son passé ne sest pas contenté de rester en Suisse, il la poursuivi jusquà Berlin, la sans doute hanté sans cesse depuis. Cest pourquoi il a pris ce train, bien quà reculons, poussé sur des traces quil na pu effacer de sa mémoire. Soit quil pense possible de les gommer enfin, soit que la rédemption existe, plus forte que loubli, il espère que ce voyage initiatique à rebours nettoiera le malaise, la salissure présente en lui. Néanmoins, lambivalence se diffracte encore, et au fond de lui il nest pas convaincu que cet espoir soit réalisable.
Le personnage de Maculin reste très obscur, et pourtant il est le seul à vivre dans ce roman. Mais son histoire, le double récit de son présent et de son passé, ne fait quaccumuler des pistes, des fragments, des hypothèses quant à sa personnalité ; et celle-ci intrigue, dérange, perturbe de plus en plus. On suit alternativement la dérive que devient le retour dans la petite ville suisse, anonyme et délatrice, vide et étouffante ; et le temps davant, la jeunesse qui se déroule par épisodes, rarement joyeux, souvent cinglants, parfois traumatiques, enfin catharsiques. Et cest pendant cette jeunesse que vivait Adalina, cest elle le fantôme qui revient visiter la mémoire de Maculin, cest elle, sa cousine, avec qui il a le plus partagé, avec qui il a connu les premières émotions et les plus bouleversantes.
Le passé était fait dune société encore traditionnelle, dure, sans pitié pour un garçon plus sensible, ou incapable de maîtriser sa sensibilité. Et le présent, le retour après la fuite, est fait de solitude, de rencontres de hasard, et de frustration renouvelée. Silvio Huonder sait véritablement transmettre ces sentiments à ses lecteurs. Peut-être est-ce son expérience dauteur pour la scène, sans doute également celle de lexil de la vallée suisse pour la métropole berlinoise quil partage avec le héros de son premier roman, il y met une efficacité narrative incontestable, une écriture convaincante, dun tel réalisme quil arrive aux confins de létrange ou de labsurde. Le passé est décrit à travers les souvenirs du héros, alors que le présent donne lieu à une focalisation externe dautant plus troublante que lon ne sait quoi penser de Maculin, que les pistes ne sont pas balisées mais suivent cet inquiétant égarement.
Adalina est redoutable de tension dramatique, sans la trépidation dun polar, mais avec ses effets glaçants, et prenants pour le lecteur, qui partage le malaise du personnage. Ce nest pas une lecture relaxante, mais certainement une uvre qui a un sens.
Marc Lucas ( Mis en ligne le 02/12/2009 ) Imprimer | | |