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Littérature -> Romans & Nouvelles |
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Edgar Kosma, archer du temps | | | Edgar Kosma Eternels instants Editions Luc Pire - Le Grand miroir 2010 / 16 € - 104.8 ffr. / 237 pages ISBN : 978-2-507-00487-3 FORMAT : 14,8cm x 20,1cm Imprimer
On ne devrait jamais lire les quatrièmes de couvertures. En tout cas pas celle du livre dEdgar Kosma, Éternels instants, dont les trois maigres paragraphes nous décrivent «un roman jouissif» aux «détours imprévisibles et drôles» portant «sur linacceptable condition humaine». Lauteur en étant à son premier opus, on convoque Echenoz, Toussaint, Perec et les «récits de vie sans queue ni tête [sic] de Diderot ou de Sterne» pour décrire son style sans en parler vraiment. Une telle présentation dessert ce texte important, innovant et audacieux dans le paysage des jeunes lettres françaises de Belgique. Elle lamène sur le terrain dune cocasserie qui nest pas la sienne. Car, sous son vernis de douceur, Kosma nourrit un questionnement aigu sur le cours des choses et dissimule une profonde gravité.
Pourtant, Éternels instants ne se donne pas demblée comme un chef-duvre. Il sagit de sy installer patiemment, après être allé à la rencontre de personnages à labord assez inconsistants et dune narration qui paraît recourir trop volontiers à la facilité du copier-coller (on pense ici aux paragraphes de près de dix lignes alignant les «clic-clic» censés rendre le tapotement compulsif du protagoniste principal sur son ordinateur, ou encore aux passages repris mot à mot avec un prénom pour seul changement). Osons le dire : pas moins de quatre-vingt pages (sur 230 au total) sont nécessaires à ce que le lecteur sy retrouve et y trouve un quelconque intérêt.
Et puis, tout bascule. Les éléments se mettent en place, la voix de Kosma se fait pleinement entendre dans son originalité et sa souplesse. La matière même du roman, le temps, est retournée sous toutes ses facettes, et lil se laisse prendre aux étourdissants caprices de cet insoluble rubicube. Kosma est parvenu à traiter sans la pédanterie commune à tant décrivains en herbe un problème philosophique dont nous ressentons au quotidien les atteintes et nosons envisager le terme. Ici, pas daphorismes pompeux sur les fatales destinées humaines ni de lamento romantico-nostalgique sur la fuite des jours ; juste leffet dune sempiternelle relance, de minute en minute, de génération en génération, et posée avec une logique implacable. En cela, Éternels instants réussit le périlleux pari de relater lintime et pourtant si commune expérience du flux qui nous voit naître, demeurer, disparaître.
Le scénario que Kosma élabore, si lâche paraissait-il à ses balbutiements, simpose en définitive comme un enchaînement de rouages parfaitement huilés. Du coup, lartifice dont il use, à lhorizon du double épilogue, napparaît plus du tout comme une pirouette verbeuse, mais comme une nécessité réelle imposée par lhistoire et la tension qui lanime, vers linfini.
Pénétrez donc cette horlogerie par le chemin le plus direct, celui de son énigmatique exergue puis de sa première page, et laissez courir. Si, vous aussi, vous en jugez les débuts peu prenants, persévérez vers ses aboutissements surprenants. Ce nest pas tous les jours quil est donné dobserver une chrysalide devenir papillon ; au fil de ces chapitres, cest un écrivain qui prend forme et corps.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 26/03/2010 ) Imprimer | | |
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