| Claro CosmoZ Actes Sud 2010 / 22,80 € - 149.34 ffr. / 484 pages ISBN : 978-2-7427-9319-8 FORMAT : 14,5cm x 23,9cm Imprimer
Romancier, né en 1962, Claro est aussi traducteur de romanciers américains (Pynchon, Vollmann, Gass
), et tient un blog (towardgrace.blogspot.com). CosmoZ est un roman étonnant, puissant, qui entraîne le lecteur dans un grand tourbillon de tornade du début du XXe siècle au 3 novembre 1956. En fil directeur, les héros du Magicien dOz, le roman de L. Frank Baum (qui donna lieu à un film «culte» aux États-Unis dans la version de Victor Fleming avec Judy Garland, 1939) : arrachés au Kansas, Dorothy et son chien Toto, Nick Chopper (lhomme en fer blanc) et Oscar Crow (lépouvantail), rescapés de la première guerre - mais en quel état ! -, les deux nains jumeaux Avram et Eizik, survivants du peuple des Munchkins, enfin, dernière venue, Elfeba (sorcière ? Aviatrice ?). Ils forment une société à part, une tribu, constamment écartelés entre le monde dOz disparu et les terribles réalités dun XXe siècle non avare de catastrophes. Entre guerres et conquêtes inutiles, bombes et camps, médecins fous, lapocalypse est toujours proche et le monde dOz toujours aussi lointain. Dune guerre à lautre, dEurope en Amérique, en marge de la société mais au cur de lhistoire, Dorothy et les siens avancent
Il faut simmerger dans ce texte dense (plus de 400 pages) qui bouscule et dont on ne sort pas indemne. D'une page à lautre, dun chapitre à lautre, on narrive jamais où lon croit
même sil y a quelques légers fils dAriane, par exemple les citations de T.S. Eliot ; ou encore lhistoire dOz : roman, adaptations cinématographiques (celle de Fleming nest pas la seule !) et le roman se clôt le 3 novembre 1956, jour de la première projection du film à la télévision, mais aussi au cur de la répression hongroise par les soviétiques
Une nouvelle fois, réel et imaginaire se croisent, Europe et Amérique se confrontent. Le monde est-il gris ou en couleurs ? Même ambiguïté dans le film : «Annoncé en Technicolor®, Le Magicien dOz commence et se termine en noir et blanc, ou plutôt en sépia, et cest de ce mensonge quil tire sa force la plus dangereuse. Le public est venu, il guette lexplosion de larc-en-ciel tant loué par le charabia promotionnel, et voilà que ses yeux ne voient quun ciel soudé aux chemins par locre de la terre grise» (p.362). Tout le livre oscille dun bord à lautre, plonge dans la tornade tourbillonnante dun siècle devenu fou de noirceur, rêve de couleurs mais celles-ci sont aussi fausses que le Technicolor
Les héros perdus sont manipulés, proies faciles en raison de leur naïveté, ils se souviennent vaguement, par épisodes, dun OZ magique, mais la féerie mensongère est le plus souvent désertée au profit dun réalisme implacable. Claro associe les contraires, ne laisse aucun répit à son lecteur, lentraîne dans de longues phrases et une écriture superbe, qui se déploie dans un style parfois baroque, parfois dune concision quasi chirurgicale. On retrouve indéniablement lesprit des grands romanciers américains (on pense à Pynchon entre autres dont Claro est un des grands traducteurs mais aussi à Gass et Le Tunnel, également traduit par Claro), cependant lassociation est sans doute trop facile : Claro a un univers à lui, riche, absurde et cohérent, quil nous fait partager avec générosité.
On sort un peu hébété, la tête dans les nuages - ou dans la tornade - de cet épais ouvrage, une nouvelle fois convaincu de labsurdité de la marche du monde, et l'on songe à Shakespeare : "La vie n'est qu'une ombre qui marche ; un pauvre comédien qui s'agite et se pavane une heure sur scène et puis qu'on entend plus. C'est une histoire, racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie... rien" (Macbeth).
Dorothy et ses amis gardent en eux la nostalgie dun paradis perdu
sauf quil na jamais existé. Claro nous emmène loin du Kansas
loin de tout et au plus proche de lhumanité, il nous promène dans lenvers et à lendroit du décor, et nous le suivons, «ravis».
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 17/09/2010 ) Imprimer | | |