|
Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Carl Watson Une vie psychosomatique Editions Vagabonde 2010 / 18 € - 117.9 ffr. / 134 pages ISBN : 978-2-919067-01-5 FORMAT : 21 x 13 cm
Traduction de Thierry Marignac Imprimer
Cest un cauchemar tenace, un petit livre de 134 pages couleur warning explosant au visage du lecteur. Une vie psychosomatique de Carl Watson est publiée en français aux excellentes éditions Vagabonde, maison au catalogue dont léclectisme assure la réputation dans le monde de lédition indépendante. On leur doit en 2002 un essai de Pol Vandromme sur le hussard Nimier, ainsi quune édition du Lenz de Büchner et celle dun traité sur LArt de naviguer par le prédicateur et historiographe de Charles Quint, Antonio de Guevara.
On connaît ou non Carl Watson pour Hôtel des actes irrévocables paru en 1997 chez Gallimard et pour son recueil de récits Sous lempire des oiseaux, chez Vagabonde déjà, en 2007. Lexplorateur de la psyché enfonce ici son scalpel dans le corps dun homme en proie aux égarements du désir, happé par linstinct de destruction, dont le goût pour lénergie vitale se confond assez vite avec une attirance infernale pour la mort. Le coup de maître est traumatique, tranchant, rendu possible par la traduction de Thierry Marignac, le passeur et découvreur de Carl Watson. Lexpérience est en tout point déroutante.
Voici un texte à la nature indécise, qui rappelle les aventures monologiques de Virginia Woolf, une prose aux accents dostoïevskiens, sous le patronage maladif des Carnets du sous-sol, à travers laquelle un homme se souvient de ses rapports avec une femme, de son obsession pour les insectes et de sa fascination pour le néant et le fantasme. Journal, roman, monologue, la forme hésite. Le livre sachève dailleurs sur «Cinq épilogues sans dénouement». Quon se figure plutôt un long poème acide dont le râle ne finirait jamais et le chant sourdirait contre la raison. Le protagoniste qui a trop souffert donc trop pensé sarme dun cynisme aussi humain (cette fixation sur le corps, ses sécrétions, sa constitution organique) quinhumain (absence deffroi devant le meurtre ou la tristesse, considération de lamour sous son unique aspect hormonal). De cette confrontation du minéral au corporel, du divin au sanguin, de la saleté à lharmonie éclot une uvre singulière. Elle se déploie dailleurs en contrastes, le dernier souffle et lorgasme y sont jumelés.
Ces explorations sensitives, perforation des dessous de lamour physique, constituent un récitdiscours donnant limpression de ne pas savoir où il se termine. Dans la démence ou dans lataraxie ? Lexpérience de Watson, comme celle de Virginia Woolf, est une immersion dans leau froide de la folie pour tenter de mieux la chevaucher. Mais ce nest pas précisément de folie dont il est ici question, plutôt de flottement, dune apesanteur entre la raison et la vie. Lécriture jusquau-boutiste de Carl Watson jongle entre présent et passé et mime ainsi légarement psychique : elle est résolument celle des épilogues extrêmes, certains dêtre des mises au tombeau ou des résurrections. Lentreprise de Watson permet létablissement dun univers où les rêves sanguinaires du narrateur sont plus violents que sa réalité. Il y est permis de souffrir, et lénergie surréaliste vient caresser, enduire le réel dun souffle animal et masochiste. On pense aux expériences dArtaud, à son «théâtre de la cruauté», ou lon se figure un tableau de Dali aux couleurs crues, avec la douleur comme principale donnée érotique.
Des scènes détreintes hargneuses et chahutées aux mises en abîme de la mort dans un scénario où elle frappe indistinctement des familles qui nont aucun rapport les unes avec les autres, le lecteur change de chapitre sans jamais shabituer aux univers quil traverse. Laction ne se déroule pas selon la logique romanesque dune narration mais semble plutôt venir renforcer le mal de vivre et la pourriture qui étreint le personnage principal, la femme quil aime et tour à tour quil déteste, les anonymes dont Watson peint le plaisir et la mort. Cest dun éclatement de laction dont se nourrissent ces séquences qui ne semboîtent pas, wagons dun train fantôme sur des montagnes russes. Dune voix également, multiple, quon ne saisit pas tout entière puisquelle désigne un être kaléidoscopique dans sa vie psychosomatique, une expérience douloureuse de lego au cur dun monde qui ne lui inspire nulle confiance, prise pour cible par les mots de lauteur. La puissance formelle dune telle uvre ne réside donc pas seulement dans lénergie poétique dune prose danalyse et de description, elle naît de limpulsion énonciative de chaque parcelle du livre, chapitres indéterminés comme tels, tantôt résumés dexistence, états des lieux de limpuissance, règles à tenir dans lart de nuire et de se nuire. Une vie psychosomatique, cest la dissection dune conscience perturbée donc vivante.
Solange Bied-Charreton ( Mis en ligne le 15/12/2010 ) Imprimer | | |
|
|
|
|