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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Enguerrand Guépy L'Eclipse Editions de l'Oeuvre 2010 / 17 € - 111.35 ffr. / 202 pages ISBN : 978-2-356-31029-3 FORMAT : 14,5cm x 20cm Imprimer
La quatrième de couverture évoque un «roman choral». On pense alors au coryphée dune tragédie antique. Mais la langue est classique. Pondérée, elle dessine, comme dans un jardin à la française, des figures symétriques selon le rythme des phrases, dans la retenue, lexpression prude des passions et des excès. Le latin ou le Grand Siècle, la mesure et la fluidité. Linvestigation psychologique, quant à elle, est profondément moderne, transgressant le support sur lequel lauteur bâtit son drame : les intouchables évangiles comme source de lexpérimentation romanesque. Le roman dEngerrand Guépy est un objet littéraire en tout point surprenant.
Tout dabord, cest incroyablement documenté, et cest pourtant un roman. Quon simagine Salammbô sans contagion scientiste ou micheletienne. Ensuite, cest formellement équivoque (ça se voudrait un tissage de monologues, une plongée dans les méandres en doute de lesprit des saints), et cest encore pourtant un roman. Cest laspect, cet OVNI, le visage sans le suaire, de la gloire de Dieu quand celle-ci resplendit dans la littérature. Que celui qui la trouve soit un bon romancier ou un lecteur comblé, il est éminemment plus encore : un témoin de son rayonnement. LEclipse dEnguerrand Guépy dit le soleil noir dune mélancolie irradiée, lautre face de lastre Bible, les pensées et les tourments des protagonistes de la Passion quand la Bonne Nouvelle ne nous délivre que les faits et dits. Lassise contextuelle (renforcée par les «Repères historiques» de la fin du livre) est une manifestation érudite dun désir dhumilité face à lHistoire et face à celle, non vérifiée, sinon en Dieu, de la Bible. Car il fallait, avant dimaginer, savoir et sincliner devant la Parole. Il est aussi, dans le classicisme exemplaire du style de Guépy, une limpidité qui évoque la langue de Marguerite Yourcenar. On pense aux Mémoires dHadrien, pour ce quil y a de maîtrisé dans la prose de ce peintre du temps mystique. Et comme dun épurement flaubertien, un passé simple et un rythme parfait prodiguent une solide charpente à lentreprise quasi documentaire. Le narrateur fait un usage appliqué du procédé de focalisation interne, ne livre aucune émotion qui lui est propre, aucune trace de lui-même. Cest sorti directement des personnages, le romancier nétant quun passeur.
Barabbas enfin libéré rêve dêtre le chef de linsurrection des Juifs contre les Romains ; Thomas revient chez Rebecca sa maîtresse comme on le fait après avoir perdu la guerre ; Caïphe le grand prêtre, une fois sa victoire savourée, se trouve en proie à langoisse ; Marie-Madeleine, quand Jacques la désire, un moment sauvée de lopprobre, replonge dans le mépris et la menace dune lapidation ; un légionnaire romain la sauve des coups de verge ; le préfet Pilate est rongé par le remord ; Matthieu court se cacher tant il a peur de finir comme son Maître. Jésus est absent, au tombeau, mais tout dans Jérusalem transpire encore sa grâce, les paroles quIl avait prononcées, ce quIl avait promis et ce quIl avait accompli, guérisons (celle de Lazare notamment) et damnations.
LEclipse rend compte de ces instants où tout fut possible, lEnfer ou le bonheur, lemprisonnement comme la rébellion. Où tout fut suspendu, où les travers humains profitèrent de lombre pour sexprimer sans artifice. Le Mal pénètre alors les interstices dun entracte avant que Dieu ne sauve les hommes par amour. Cest le noir avant la lumière. La sainteté à lépreuve du péché. Qui est saint sinon celui qui pèche ? Dans ce fragment de vie entre la mort et la Résurrection de Celui qui lincarne, on flotte dans de sombres heures, des heures poignantes, révélées terriblement humaines. Comme chez Sophocle, Homère ou Eschyle, les antiques païens, les tragiques cherchant Dieu (et le «roman choral» prend alors tout son sens), on y retrouve le doute, la crainte et lenvie, la tristesse, la violence et la volonté de puissance. De personnage en personnage, une attention mouvante nous fait virevolter dans la sombre Jérusalem du vendredi jusquau soleil du dimanche de Pâques.
Voici un roman réussi, qui recherche la sainteté là où le Mal creuse ses travées, Dieu là où la tentation fait lhomme et la femme. Bien et Mal comme deux éléments dune éclipse avant que la victoire du Christ inonde la terre entière. Ce nest plus païen mais pas encore chrétien. Cest tout autant profane que sacré. Et au bout du livre, le voile se lève et la lumière se révèle enfin. Lange déclare à Marie-Madeleine : «Ce qui devait être accompli a été accompli. Le prince de la paix va enfin entrer dans son royaume». Un grand livre de foi.
Solange Bied-Charreton ( Mis en ligne le 17/12/2010 ) Imprimer | | |
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