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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Pascaline Mourier-Casile La Fente d'eau Maurice Nadeau 2011 / 18 € - 117.9 ffr. / 174 pages ISBN : 978-2-86231-219-4 FORMAT : 13,5cm x 21cm Imprimer
Quatre pages de prologue, dune écriture serrée, annoncent, sans rien dévoiler, le drame qui se jouera peut-être cette nuit-là. «La nuit. La pluie. [
] La mare. Verdâtre». Ces quelques mots appellent dautres eaux, vertes et visqueuses elles aussi, en dautres temps dont la jeune femme qui se raconte a besoin de parler à François, celui quelle aime. Elle enregistre alors pour lui son histoire, qui est aussi ce récit qui nous est donné à lire : sorte de conte poétique magistralement écrit, quon situerait aux frontières mouvantes de la littérature et du réel. Elle se livre comme un fruit trop mur, prêt à éclater sous le gonflement de la larve qui lemplit : un fruit blet, cest un peu ce quelle voit dans son corps meurtri par la grossesse en devenir. Il lui est difficile de dire à François quelle ne veut pas de ce petit corps de sang et de chair qui ferait delle une mère, et les émotions trop longtemps contenues se déversent lentement, parfois par accès, comme un suc visqueux et lourd, doux et âcre à la fois.
Ses mots conduisent François dans ce pays lointain où elle a passé ses jeunes années. Un lieu tout couvert dune moiteur équatoriale et où la terre soffre à corps ouvert. Elle se souvient des jours purement heureux de son adolescence, pendant lesquels, avec ce frère quelle a sans doute plus aimé que quiconque, elle goûtait à tout ce que le monde peut offrir, en toute liberté. Elle décrit ce paradis naturel à la fois lascif et vigoureux, de mer et de fleuves chauds et de forêts humides, dont la sensualité est aussi exacerbée que le morbide : continûment tout germe se gonfle de ce germe pour se décomposer ensuite dans la puanteur de la putréfaction.
A la lecture, ces morts qui puent et poissent nous dégoûtent et pourtant on suit fasciné le cheminement de la jeune fille et de «son petit prince» de frère dans ce paradis déchu où la vie ne tient à pas grand-chose. À peine perçoit-on le tragique de leur quête initiatique quil est déjà trop tard : le non sens de lexistence se dévoile dans la perte bien réelle de ce frère passionnément aimé. Lévocation de ces souvenirs en un récit ponctué de très beaux chants poétiques, constamment partagée entre sensualité naturelle et mort immanente, nous suggère en filigrane que notre seule liberté pourrait être celle den finir plus tôt.
Rien de cela pourtant ne fait de ce récit une uvre sombre tant dominent lénergie de lécriture et lexpression du bonheur daimer en toute liberté. Enfin, très habilement, Pascaline Mourier-Casile laisse planer une incertitude à la fin de son récit, et chacun, avec ce quil porte en lui, peut en imaginer lissue. On retrouve dailleurs cette technique qui caractérise aussi sa peinture : la création de mondes à rêver et à imaginer, de mondes qui nous révèlent à nous-mêmes nos propres peurs et fantasmes.
Dernière remarque, non des moindres : pour sa description de la sensualité féminine et de la maternité, sans aucun faux-semblant, ce livre est un grand et bel ouvrage féministe, dune profondeur bien plus grande que ce qui se donne à lire ces derniers temps sous cette étiquette.
Rachel Lauthelier ( Mis en ligne le 05/09/2011 ) Imprimer | | |
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