| Pierre Jourde La Présence Les Allusifs - Les peurs 2011 / 11 € - 72.05 ffr. / 86 pages ISBN : 978-2-923682-19-8 FORMAT : 12cm x 17cm Imprimer
Pierre Jourde est de ces écrivains aimables qui nous irritent, à gratter, frotter, récurer sans cesse, effarés, tout à la fois la réalité et le néant, le sens et labsence, le rêve et léveil, la conscience de soi et les choses inconscientes, bref, toute la classique vaisselle des antinomies littéraires. Présence-absence, apparition-disparition, obscurité-lumière : autant dhymens contrariés dont la recension dans La Présence semble parfois dun pachyderme soulageant sa mélancolie dans le point de croix. «Le réel est comme impossible», écrit Pierre Jourde. Il eût mieux valu ne pas le dire. Jourde le dit, le répète, et cela donne cette écriture spiralée, flux et reflux, si heureuse chez certains écrivains, mais qui peine ici à faire saillir mieux quun honnête petit tas doxymores. La Présence, cest demblée cela : la copulation byzantine des contraires, laquelle signale au pékin ravi la proximité dun gisement deffroi métaphysique.
Pierre Jourde, avec Festins secrets, avec LHeure et lOmbre, nous menait sur la ligne de crête entre sommeil et veille, entre maturité et enfance. Lécrivain se soumet dans La Présence à un thème livré par léditeur : les peurs (bon, en fait, la peur ; assez de cette prétention à fourrer des pluriels partout, les musiques, les littératures, les cultures, les France, les personnels, les peurs, minuscules pichenettes faites à vingt siècles prétendument aveugles à la diversité des choses). Il est donc question de peur ici, celle éprouvée par le narrateur retourné seul dans sa maison de famille auvergnate. Forêt, maison, objets, grenier, sont prétextes, dans un récit corseté, au timbre un peu sec, à lévocation dun thème cher à lauteur : la vision somnambule, laquelle rejette le monde dans limpossibilité dans le mutisme.
Dans sa nouvelle Le Tour décrou, Henry James réussissait bon, cest Henry James où Pierre Jourde échoue dabord : à distiller langoisse suscitée par un réel dérobé ; à suggérer le trouble, plutôt quà le signaler bruyamment, à coups de fanfares noires, de clowns pas drôles. Car Pierre Jourde, dans La Présence, cest un peu la méthode Coué en littérature : prenez les mots «présence» et «absence», lancez-les dans chaque page ; lÊtre soudain flageole ; on ne sait plus où on habite : on est écrivain ! Aussi le tour «fantastique» de lécriture de Pierre Jourde nous semble-t-il parfois trop appris dans quelque cours de cuisine littéraire, où lon apprendrait à saler le sucré et sucrer le salé.
La Présence aurait tout aussi bien se nommer LAbsence. Incertitude ontologique oblige. Seulement lAbsence, cest encore trop Dieu, cest encore quelque chose. Non : au cur du livre, dans un second temps du moins, un singulier «personnage», qui nen est pas un, un fantôme à peine fantôme : la présence qui donne son nom au livre, tapie dans le grenier. Présence qui sefface, et pourrait bientôt prendre congé, à jamais. «Ce qui vient me hanter, chaque nuit, cest lincroyable, la bouleversante coexistence de la présence et de labsence». Phrase ô combien jourdienne, à nous vriller les nerfs, mais : «Ce sont les morts, en effet, travaillés seconde après seconde par labsence, et que pousse vers nous la force persistante de la présence. Les morts qui ne peuvent encore mourir». Jourdien toujours, exquisément ! Cependant quelque chose pointe : «Il ny a plus de morts, plus de peur des fantômes. La grande population des morts a quasiment cessé de se mêler à nous. Lapartheid est désormais un fait accompli. Les morts nont plus de droit de résidence dans nos villes, ils ne peuvent pas emprunter nos routes, monter dans nos bus. On les maintient dans des ghettos où ils ne sortent jamais, et où nous nentrons plus. Et à mesure que les morts nous quittent, et leur silence, nous nous déréalisons».
Alors une certaine beauté jaillit, simple et pure, quand on ne lattendait plus, comme «apparaît» pour finir le «personnage» du grenier, à la faveur dune trouvaille romanesque, qui na, elle, rien dartificiel, et où se manifeste le meilleur du talent de lauteur. Jusqualors, on nous montrait la présence et labsence comme un trappeur fébrile montrerait tour à tour, dans le brouillard, lours et la peau de lours. Enfin lannonce dune sourde catastrophe fait comme une poussée de sève lumineuse dans les phrases un rien anémiées de La Présence. Cette catastrophe, cest, pour ainsi dire, limminente seconde mort des morts. La langue de Pierre Jourde, traînant ses antinomies comme trop de tics «littéraires», nous apparaît soudain pour ce quelle est peut-être, la marque somme toute aimable de ceux à jamais perdus entre jadis, quand les morts parlaient à la vie, et aujourdhui, quand tout se tait, et que naîtront bientôt des hommes qui, Jourde le subtil nous passe cette formule absurde, ne connaîtront aucun mort.
Jean-Baptiste Fichet ( Mis en ligne le 16/11/2011 ) Imprimer
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