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Algérie des parfums des voix et des violences | | | Ahmed Kalouaz Une étoile aux cheveux noirs Rouergue - La Brune 2011 / 12,80 € - 83.84 ffr. / 107 pages ISBN : 978-2-8126-0263-4 FORMAT : 14,1cm x 20,4cm Imprimer
Yamina a maintenant quatre-vingt-quatre ans. Si loin est le temps où, jeune femme, elle a débarqué à Marseille dans les années cinquante, une valise et des enfants au bout des mains. On nest plus nomade à quatre-vingt-quatre ans, pourtant Yamina doit une fois encore, partir, quitter le minuscule appartement où elle sest réfugiée quarante ans plus tôt. Son immeuble va être rasé. Comment pourrait-elle connaître, elle qui ne sait pas lire, la nouvelle adresse quon lui impose ?
Elle est née en vingt-sept, en Algérie, bercée le jour de sa naissance par les youyous des femmes. Elle avait sept jours quand le couscous a été servi aux pauvres du douar en signe de réjouissance. Plus tard, on la un peu malmenée : les filles dans ces pays se doivent de nêtre pas fragiles. On la mariée tôt à un homme ni plus ni moins mauvais que les autres, mais dans ces cultures les hommes sont quelquefois violents. Décole, point : les femmes nont pas besoin de savoir lire ; il suffit dapprendre à servir et satisfaire un époux, il suffit de savoir nourrir les enfants qui naîtront. Yamina a donc passé tout ce temps dans lunique but de donner la vie, de garder la vie en nourrissant et élevant ses quatorze petits. Pour fuir lisolement, elle avait su, seule, apprendre à parler cette langue étrangère : le français.
Sa jeunesse a disparu, de jours en nuits, de joies en chagrins, denfant en enfant qui, tour à tour, ont déserté le logis. Quand elle sest trouvée seule, dans labsence, cest des pigeons du toit quelle a pris soin, leur offrant les miettes de ses simples repas. Maintenant encore, elle entasse dans le vieux buffet trop grand les provisions qui permettront d'accueillir dignement un éventuel visiteur avec un couscous ou une chorba. Elle est hadja : elle est allée deux fois en Terre Sainte. Elle qui allait tête nue, voilà quelle couvre maintenant ses cheveux dun foulard. Dans la cité, on lui a «vendu des coutumes qui emprisonnent le visage et peut-être lesprit». Ainsi, elle a gardé lempreinte des misères et du racisme dautrefois.
Octobre est là. Chevauchant lantique mobylette bleue qui a appartenu à son père, le fils aîné de Yamina va parcourir un millier de kilomètres pour aller réconforter sa mère. Il sait que Yamina, peut-être, maintenant que sa vie se fait courte, demande enfin de lattention. Il la découvrira désemparée, résignée, au milieu des cartons ficelés. Il va, dans les pétarades de sa mobylette, lui, lhomme double, avec le passé que sa mère lui a transmis : cette part delle qui est lAlgérie des parfums des voix et des violences, et puis avec son présent, sa France, son appartenance. Sa double culture acceptée, en homme déquilibre, il va chantant à tue-tête sa chanson préférée, «Ma France» de Ferrat.
Ahmed Kalouaz dans une langue rare, solide et légère, simple et précieuse, sadresse à sa mère en remontant le temps de sa vie. Un délice de phrases et de mots, un rythme et une langue de chanson pour dire avec pudeur la gratitude et lamour dun fils pour sa mère.
Annie Lopez ( Mis en ligne le 06/01/2012 ) Imprimer | | |