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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Quentin Debray L'Enfant Sade Pierre-Guillaume de Roux 2013 / 25 € - 163.75 ffr. / 365 pages ISBN : 978-2-36371-055-0 FORMAT : 14,0 cm × 23,0 cm Imprimer
Quentin Debray aime enfourcher sa machine à remonter le temps. Écrire un roman sur le monde contemporain ne lui sied pas. Non, il préfère voler vers dautres époques, faire un tour vers la Vienne de Freud (LImpatiente de Freud), sacoquiner avec le Paris jazzy des années cinquante (Le Moment magique), virevolter au XIXe siècle au temps de Delacroix (La Bataille de Nancy) ou de Corot (Le Pont dAuguste). Le voici maintenant à lépoque de Sade, au XVIIIe siècle, avec LEnfant Sade. Un pari risqué mais Quentin Debray connaît son affaire. Ancien professeur de psychiatrie honoraire de l'Université Paris V, il sest intéressé à la psychologie cognitive et comportementale et a écrit plusieurs ouvrages sur les comportements déviants de lêtre humain. Le marquis de Sade, cest alors une façon dautopsier le personnage dune façon romanesque et den révéler des contours inaperçus.
Certes, Sade est sujet à controverse. On peut aimer ou pas lindividu sulfureux quil fut et ses célèbres et non moins sulfureux romans. On peut même voir dans la célébration de ceux-ci par Roland Barthes, Michel Foucault ou Georges Bataille, une apologie du mythe libertaire en matière sexuelle. Même en philosophie, Dany-Robert Dufour (Le Divin marché) explique que le libéralisme associe subtilement Adam Smith et Sade, pour rendre compte de la dérégulation des murs actuelles. Sans oublier la polémique qui fait toujours rage : le divin marquis fait-il lapologie de la perversion ou en livre-t-il au contraire une critique impitoyable ?...
Sade a écrit Aline et Valcour, roman philosophique et épistolaire publié en 1793 mais écrit dans les années 1780 alors quil était embastillé. Il est surtout lauteur de La Philosophie dans le boudoir (1795), ouvrage détaillant le registre des perversions. Sade fait plusieurs fois l'apologie de la pédophilie à travers les discours dun personnage, Dolmancé (Troisième dialogue), mais aussi celles du viol, de l'inceste et du meurtre (Cinquième dialogue). Acclame-t-il ou dénonce-t-il ? Le problème est que si lon transpose de telles scènes dune façon cinématographique, elles seraient nettement tendancieuses. Pourquoi ne pas avoir fait mieux sortir la limite avec une intrigue qui, sans être soulignée et moraliste, aurait mieux fait sentir cette perspective ? Cest toute cette dialectique du mal quun romancier doit faire émerger, pour faire sentir le diable en nous, et en même temps, le résorber narrativement. Selon nous, Sade nétait cependant pas Choderlos de Laclos, auteur des remarquables Les Liaisons dangereuses.
Comme on sait, Sade a fauté, ce qui jette une ombre sur son uvre. Il aurait abusé en 1768 dune veuve de 36 ans, Rose Keller. Il laurait attachée sur un lit, flagellée, enduit ses blessures de cire brûlante avant datteindre l'orgasme. Laffaire fut un scandale et Sade fit six mois de détention. Un autre scandale vint pimenter la vie du marquis en juin 1772 avec laffaire de Marseille : il aurait proposé à quatre filles des pastilles à la cantharide. Arrêté le 13 février 1777, il fut incarcéré au château de Vincennes par lettre de cachet.
Le roman de Quentin Debray ne parle pas de ces épisodes sans doute trop connus. Le périple dure sur plus de 350 pages, le romancier se concentrant principalement sur lenfance et ladolescence de Sade, des épisodes peu relatés. Ce nest pas un hasard dailleurs sil s'attarde sur lenfance de Sade : le roman déducation était lun des genres les plus prisés au XVIIIe siècle. Lauteur décrit avec sensualité lenfance du petit Donatien dans le château de Saumane où labbé Jacques de Sade, érudit et libertin, soccupe de léducation de son neveu de lâge de quatre ans à dix ans. Cest loccasion pour le jeune marquis de découvrir des scènes égrillardes, la beauté de la nature et les cuisines où lon dépèce les animaux, un objet de fascination pour lui. Saveurs, odeurs et senteurs parfument ce roman dessences capiteuses. Tout ceci avant que son père, Jean-Baptiste de Sade, ne lenvoie à Paris pour parfaire son éducation. Le jeune homme entre alors au collège Louis-le-Grand où il va être marqué par les pères jésuites. Il fait la connaissance de prostituées avant de rencontrer plus tard deux jeunes femmes, Pernelle de lAunaie et sa cousine Olinde dans le château de Longueville où la famille va chaque année en villégiature
N'en disons pas trop...
Le roman de Quentin Debray est remarquablement écrit. Phrases longues et rythmées, exaltantes et sensuelles, rubans narratifs virevoltants et ensorcelants, riches en détails concrets faisant tourner la tête comme un bon vin. Et la peinture aussi d'une époque particulière, fruit sans doute dune recherche livresque captivante. Le roman met laccent sur le portrait dun jeune homme dont lenfance fut perturbée alors quil avait tout pour mener une savoureuse existence, certes privilégiée. Pour comprendre comprendre, pas excuser les comportements pervers que l'on sait. Comprendre pour ne pas condamner non plus dune manière moraliste et lapidaire. Le roman de Debray ausculte cette ombre ayant terni une existence qui avait tout pour être ensoleillée.
Yannick Rolandeau ( Mis en ligne le 15/07/2013 ) Imprimer
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