| Ian McEwan Opération Sweet Tooth Gallimard - Folio 2015 / 8 € - 52.4 ffr. / 464 pages ISBN : 978-2-07-046604-7 FORMAT : 11,2 cm × 18,0 cm
Première publication française en janvier 2014 (Gallimard - Du Monde Entier)
France Camus-Pichon (Traducteur) Imprimer
A quoi aurait bien pu se destiner la très séduisante Serena Frome, fille dun honorable évêque anglican, ancienne élève de Cambridge (mention mathématiques), et douée dun sens littéraire joliment affûté par ses lectures ? A lespionnage bien sûr !
Séduite par un John le Carré universitaire, puis orientée vers le MI5, version années 70 (tabac à tous les étages et machisme réglementaire), Serena, vaguement dépitée par son absence de perspectives professionnelles, se retrouve engagée dans une opération secrète au cur de la Guerre froide. Il sagit de soutenir un romancier débutant et prometteur et, plus encore, de lembrigader au service de la démocratie libérale, des valeurs et de la monarchie
Puisant dans ses compétences littéraires autant que dans ses capacités de lecture rapide, Serena doit donc approcher sa cible, et lentraîner dans son combat. Une mission importante, qui suppose sensibilité littéraire et proscrit tout «bovarysme», cette bizarre affection qui incite le lecteur à se retrouver dans un personnage. Et si en plus, lauteur en question, Tom Haley, est tout à la fois doué et séduisant, que dire ? A moins que la mission ne soit parasitée par des ex-amants, ou dex prétendants, par la poésie anglaise ou des inspirations moins recommandables ? Qui a dit quembrigader un écrivain était aisé ?...
Avec cette Opération Sweet Tooth, Ian McEwan (Expiation, Solaire) signe de nouveau un roman très réussi, entre parodie littéraire de roman despionnage et fable drôlatique sur la liberté de lécriture. En lectrice à la fois simple et sensible, sa Serena compose un personnage attachant, dont les débats intérieurs, entrecoupés de lectures des nouvelles de son auteur, sont autant de moments de poésie. Tout lart de ce roman magistralement mené est dimbriquer le littéraire et le réel, de montrer les influences et conséquences de lun sur lautre, les hasards de linspiration (voire de linspiration mathématique) et les échos (lointains) de la politique. On va de ladministration du MI5 un mélange kafkaïen dambitions mesquines, degos disciplinés et de conformisme mal assumé aux campus des universités britanniques, en pleine révolution.
Ce choc entre deux mondes donne le ton au roman, écrit à la première personne et constitue lun des attraits de lintrigue. Sans faire léconomie dun arrière-plan historique travaillé (1974, Nixon et le Watergate, la crise pétrolière, lIRA provisoire et ses attentats, etc.), Ian McEwan sait lintégrer dans son récit, le mettre en résonance avec les digressions de Serena comme avec les écrits de Tom. On sourit, on se passionne, on observe ce MI5 des années 70 comme on observait la Société Des Nations décrite par Albert Cohen dans Belle du Seigneur, avec une même gourmandise. Les deux histoires se ressemblent un peu du reste, deux rencontres amoureuses sur fond dadministration et de crise internationale. Si McEwan ne suit finalement pas la trace de Cohen et reste léger, il en retrouve les accents et la finesse, avec ce décalage supplémentaire, cet humour so British, qui fait décidément le charme de la littérature outre Manche, celle de lauteur comme celle de son héros, Tom Haley.
Un roman excellent, fin, drôle et qui mérite très largement le détour.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 28/10/2015 ) Imprimer
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