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Dans la nuit des jeunes filles en fleurs…
Kiyoko Murata   Fille de joie
Actes Sud - Lettres japonaises 2017 /  21,80 € - 142.79 ffr. / 270 pages
ISBN : 978-2-330-07568-2
FORMAT : 11,6 cm × 21,6 cm

Sophie Refle (Traducteur)
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Ichi a 15 ans : fille d’un pauvre pécheur d’une île lointaine, elle est vendue à une maison close pour rembourser la dette familiale… un sort hélas assez fréquent et qui alimente la prostitution japonaise en chair fraîche. A peine arrivée, un premier examen mené sans ménagement lui confirme sa triste condition… mais Ichi a un atout, son visage et son corps sculpté par la nage. Remarquée par Shinonome, une oïran – la plus haute courtisane de la maison –, elle est considérée comme précieuse et formée au métier de geisha, courtisane de luxe.

Pour la jeune fille sauvage au dialecte improbable, le monde prend de nouvelles couleurs : initiation à la beauté, à la grâce, à la séduction, à l’écriture et à la poésie, découverte des plaisirs du bain et de la bouche, découverte d’une grande ville et de son quartier réservé, et même des gaijin, ces étrangers venus d’au-delà des mers. Ichi prend un nouveau nom, se transforme en femme, s’affirme par l’écriture… Presque une renaissance.

Mais il y a aussi le métier, le corps vendu, la séduction tarifée, les comptes tenus pour ne pas se faire escroquer, la dette à rembourser, le statut de bête de somme parée pour la foire, les risques de tomber enceinte, les drames qui menacent ces femmes livrées aux hommes… A ce rythme, l’enfance s’efface vite, les espoirs de mariage s’envolent, et l’horizon, vue depuis la fenêtre grillagée qui sert à héler le client, est bien terne. Mais il y a des révolutions silencieuses…

L’ére Meiji vue depuis l’intérieur d’une maison close : on entre dans le monde complexe et ritualisé des geishas, on découvre les subtilités du vêtement, du cérémonial, des titulatures et du statut de geisha, on s’aventure dans les alcôves pour saisir les nuances de la séduction et du désir, on s’initie à l’art d’inviter son client par une poésie subtile. Et puis il y a le sordide, l’horreur des ventes d’adolescentes, les espoirs lancinants et déçus, la condition de femme objet, le sexe trivial quand il est monnayé.

Kyoko Murata, excellemment traduite par Sophie Refle, livre une fresque exceptionnelle sur la vie des prostituées japonaises du début du XXe siècle, une fresque qui dénonce, derrière l’apparat et le mythe des geishas, la réalité de la prostitution et d’un esclavage sexuel paré de soie. Candide, Ichi s’initie (et nous initie) à cette existence, guidée à la fois par la délicieuse Shinonome, et par la plus sage Mme Tetsuko, son institutrice. Elle entraîne le lecteur dans tous les recoins de la vie d’une prostituée : au passage, on reçoit une belle leçon d’histoire nippone, sur la fin d’un monde, le déclin d’une certaine société féodale (à travers le personnage de Mme Tetsuko) et la modernité qui bouleverse et révolutionne le Japon (avec l’arrivée de l’armée du salut par exemple, ou bien les lois copiées sur l’Occident).

Le roman, qui alterne les points de vue, ne joue pas sur le pathos et le drame : l’écriture, sobre, parvient à éviter l’écueil de l’empathie et préserve l’essentiel, le tableau d’une société qui, lentement, change. K. Murata maîtrise à la perfection ce style minimaliste propre aux écrivains japonais, et qui, de peu de mots, sait faire voir un univers.

Un immense roman, magistralement mené et qui fascinera les amateurs de culture japonaise et d’histoire dense.


Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 29/05/2017 )
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