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Petit théâtre de la cruauté
Luc Girerd   Eloge du père qui m'assassina
Albin Michel 2003 /  15 € - 98.25 ffr.
ISBN : 2226136045
FORMAT : 16 x 24
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La psychologie moderne nous enseigne qu’un des actes fondateurs de la civilisation est le meurtre du père, tyrannique et omnipotent, par ses fils, meurtre qui permit à ces derniers d’accéder au contrat social et à la culture. Mais allez donc tuer un père comme celui de Luc Girerd ! Impossible ! Le mieux est peut-être qu’il vous tue d’abord, à petit feu, pour vous donner le courage d’accomplir à votre tour cet acte libérateur. C’est le long cheminement de cette relation fusionnelle, implacable, volcanique, impossible, rongée par les non-dits, que l’auteur nous raconte avec brio, en nous présentant en détails son «tyran paternel».

Tyran est d’ailleurs un mot faible. S’étant octroyé les pleins pouvoirs familiaux, rythmant la vie de son clan au gré de ses humeurs, pétrifiant ses proches par sa violence et son génie, le père de Luc Girerd fut à la fois inventeur inspiré, gaulliste transi, intime de Boris Vian et d’autres grands hommes, humaniste progressiste, coureur de jupons salace, architecte fantasque, mathématicien chevronné, aventurier, professeur ou gourou. Avec l’homme, rien d’impossible, qu’il reçoive un énorme tronc en acajou de la part de Fidel Castro en remerciement de son soutien involontaire à la cause, qu’il se torche une nuit entière en compagnie de Romain Gary, qu’il parte soudainement chasser le requin en Irlande, qu’il cède à chacune de ses maîtresses, en guise d’adieu, un des pointers de son élevage, qu’il rédige un Traitement des équations différentielles sur calculateurs électroniques de plus de 500 pages, qu’il peuple, en grand amoureux des animaux, ses différents domiciles – toujours démesurés – de toutes les espèces possibles et imaginables. Difficile de dresser une liste exhaustive de cette grandiloquence paternelle. Chacune des pages de cet ouvrage en fait le recensement, bric-à-brac rocambolesque d’anecdotes en pagaille, pour la plus grande joie du lecteur. Mais derrière cet amoncellement d’actes héroïques ou monstrueux et de folies mégalomaniaques – dont on ne sait, comme l’auteur, si elles sont toutes vraies – se cache également une personnalité paternelle en grande souffrance, monstrueuse d’égoïsme, socialement aigrie, profondément misanthrope. Et le fils de ne pas savoir trouver une place, même microscopique, à l’ombre de cette imposante aura paternelle. En dépit des espoirs de son géniteur, Luc ne réussira ni Polytechnique, ni HEC, pas plus que l’ENA ou Sciences Po. Il finira «simple» professeur, s’essaiera au théâtre, à la création, en essuyant
les sarcasmes de son père, «le seul homme de sa vie».

Raconté de brillante façon, avec une savoureuse maîtrise de l’entremêlement des époques et des faits, du bonheur et de la souffrance, l’ouvrage offre un dénouement tragique, révélant d’ailleurs de façon limpide l’urgence morale qu’avait son auteur à le rédiger. Luc Girerd rapporte d’ailleurs dès les premières lignes un dialogue avec son psychanalyste :
«- Vous êtes écrivain, vous devriez raconter cette histoire. Pour la clore définitivement.
- Personne ne la croira.
- Quelle importance ? Laissez les autres imaginer ce qu’ils veulent. Il n’y a rien de tel que l’alibi du roman pour se libérer de la vérité»
.
La seule façon qu’avait Luc Girerd de tuer son père était de le faire accéder au rang mythique, en le «projetant» hors de la sphère intime et en l’offrant à tous, ce qu’il parvient à faire de brillante manière. Reste que le lecteur,
même si chaque page de ce livre est pétrie d’amour fou, arrive difficilement à trouver des excuses au personnage, encore moins à le comprendre. Et l’on veut bien croire Luc Girerd lorsqu’il évoque le fameux syndrome de Stockholm, symptôme psychiatrique au cours duquel la victime s’éprend de son bourreau – souvent à l’occasion d’une prise d’otage ou d’un enlèvement politique.
Au-delà des anecdotes incroyables et drôles et du style élégant et harmonieux, c’est toute l’horreur de l’emprise psychologique que l’on ressent dans ce roman excessivement réussi, et qui fait plutôt froid dans le dos.


Caroline Bee
( Mis en ligne le 23/06/2003 )
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