| Paul Smaïl Vivre me tue Balland 2003 / 17.50 € - 114.63 ffr. / 188 pages ISBN : 2-7158-1435-6 FORMAT : 14x21 cm
Roman publié pour la première fois chez Balland en 1997. Egalement disponible au format poche (J'ai Lu, 1998). Imprimer
Paul avait entamé un roman dont la première phrase, «Vivre me tue», lempêcha daller plus loin. «En trois mots en somme, javais tout dit» (p. 140), explique lauteur. On acquiesce, sans regretter cependant quil nen ait dit un peu plus, tout compte fait. Vivre me tue est cette poursuite, le développement de cet aphorisme poignant, pour tenir une promesse faite à son frère sur son lit de mort.
Paul Smaïl est un Français hors de France, un de ces citoyens de seconde zone tels quon tolère que notre société les fasse, à la marge ; un Français de touche
Fils de France, amoureux de sa langue et de son pays (si, ce pourquoi il finit par le fuir), ce jeune homme est laîné dun cheminot bibliophile et le neveu dun arabe tué en octobre 1961 (honte historique, trop facilement oubliée, à laquelle il consacre un chapitre court et cinglant)
Amant des mots, bac+5, il livre des pizzas pour des Français dont il nous trace les portraits à la serpe. On évoquera, pour sa terrible véracité, celui de la libraire, gauchiste bon ton et fasciste masquée, criant haut et fort en les montrant du doigt quelle tolère les maghrébins et nest pas raciste. Paul la surnomme «la Mrape, la Licrave, Cuvée rouge» (p.115)
Le roman est le récit dune vie, celui dune intégration somme toute impossible. Tant quil faut montrer patte blanche, on nest toujours pas du foyer
Le mérite de lauteur est de ne jamais tomber dans le misérabilisme, la violence gratuite ni le pathos un peu facile. Vivre me tue est un roman grave et conséquent. Les mots y sont pesés, pondérés, estimés à leur juste valeur. Paul Smaïl les lance sur le papier comme des uppercuts ; il fait mouche. Il écrit avec une arme à feu.
On se trouve devant un lion en cage. Lécriture est agitée. Les mots vont et viennent, animaux dans ce caisson étroit : notre société, le présent, ses injustices. Il y a de la violence dans ce verbe, mais une violence légitime, vengeresse et maîtrisée. Plutôt que de poser une bombe au métro Maison-Blanche, Paul Smaïl a écrit un livre. Amoureux de littérature, animé de cette indicible fringale de lire, il manie les mots avec maestria. «Il fallait que jexsude ma violence» (p.137.), confesse-t-il.
Lécriture, peinture dune vie à lencre noire, nest pourtant pas lourde. Il ny a ni cynisme, ni renoncement ici. Les mots sont durs mais ils sonnent juste. Le Barbès quotidien de Paul est une scène magnifique, où lon trouve à la fois la tendresse humaniste dun Pennac et la bile dun Céline, sa fatigue aussi. Les personnages, sans doute parce quils sont vrais, touchent sans artifice. Daniel, le frère mal dans sa peau et dans ses muscles, conjuguant le mal-être dun "rebeu" et celui dun homo, est un personnage tragique et superbe.
Cest sur sa trajectoire que la récente adaptation cinématographique du roman (Vivre me tue, de Jean-Pierre Sinapi, avec Sami Bouajila, Jalil Lespert et Sylvie Testud) sest concentrée. Le roman, réédité à l'occasion de cette sortie cinéma, est plus large de sorte que les deux uvres se complètent, sans plagiat ni trahison, par le 8 mm.
Le roman de Paul Smaïl est donc un terrible chef-duvre, une gifle magistrale faite à une société dont le pire crime est sans doute de pousser à la haine de soi. Le lion va et vient dans cette cage quil aurait chérie, et finit par rêver dhorizons marins, dun retour au bled
où il na jamais été. Une lecture saine et édifiante en ces temps post-paponistes et sarkoziens
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 25/07/2003 ) Imprimer | | |