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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| François Bégaudeau Dans la diagonale Verticales 2005 / 17 € - 111.35 ffr. / 220 pages ISBN : 2843352029 FORMAT : 14 x 21 cm Imprimer
Dans son premier roman intitulé Jouer juste et édité chez Verticales, François Bégaudeau nous faisait part du monologue dun entraîneur de foot, un monologue peu à peu envahi par un discours amoureux. Ce procédé amenait ainsi le lecteur à entendre différentes voix schizophrènes entremêlées. Dans ce deuxième roman, il est toujours question de schizophrénie, de fermeture sur soi, puisque le narrateur évite maladivement toute rencontre amicale, surtout les amitiés du passé.
Mais, dès le « prologue », cest la rencontre entre ce narrateur fuyant et un ancien ami de lycée qui se fait, et là, catastrophe, lami linvite à sa fête. Cette fête savèrera dailleurs singulièrement médiocre en sembourbant dans la petite conversation stupide ou cruelle, et sombrant dans la déchéance festive et vulgaire. Ce « prologue », cest aussi la digression vers le passé, comme sil fallait donner malgré tout une nostalgie à la retrouvaille en partant vers dautres souvenirs, souvenirs qui chargeraient de joie cette rencontre. Mais cela ne fonctionne pas, évidemment. Seule une conscience totalement troublée et troublante augurant du pire est mise en évidence. Par exemple, le narrateur est toujours en décalage avec ses conquêtes amoureuses, elles marchent trop lentement pour lui, un vrai problème : « moi qui faisais six pas pendant quelle un seul ». Cette façon damener léchec amoureux à un déphasage physique annonce langle de lecture du livre. En effet, tout le roman sera calé sur le déphasage, le décalage entre ce narrateur et un milieu qui lui semble hostile. Cest le heurt entre ce personnage et différents caractères communs qui fera jaillir larbitraire et la mesquinerie de certains comportements trentenaires, génération ironique et désabusée sengluant dans ce quelle prétend dénoncer par un second degré gelé doriginalité.
La première partie, « dans la situation », débute par le voyage en auto-stop du narrateur pour rejoindre la maison où a lieu la fête. Pendant ce voyage, sentendent les narrations robotisées dautomobilistes terrifiantes de douleur. Des histoires souvent tragiques lui sont racontées, et là, dans la furtivité dune rencontre sans lendemain, dun bout de chemin fait ensemble, la cruelle réalité est mise à nue. Lhistoire de chaque automobiliste est relatée sans pathos mais la dose datrocité quelle contient est augmentée par la succession de la parole froide du narrateur, parole mécanisée, scandée par la répétition de la même expression à chaque fin de parcours : « cest parfait » comme pour dire le contentement du fragment de voyage fait, mais aussi, ironiquement, de lhistoire tragique entendue. Ces histoires sont crues et pourtant énoncées sereinement, et la collision avec le leitmotiv « cest parfait », lui aussi glacial, produit lémotion.
A la demeure de la fête, la présentation de chaque personnage est faite selon une esthétique de la petite annonce, mais biaisée et déshumanisante, et les paroles des convives montrent leur absence de personnalité. Ils veulent pauvrement saffirmer dans un langage stéréotypé de pseudo convivialité tandis que le narrateur se tient debout dans sa « diagonale », cest-à-dire en travers de ce quil entend. Il se place ainsi grâce à sa logique déconcertante mais aussi par ses remarques incongrues participant entre autres de létrangeté du texte un peu beckettien. Parfois un rare sentiment est plaqué sur un objet ; par exemple, la truite du dîner : «La bouche écorchée par lhameçon fait non non. Non non je ne veux pas mourir. Je veux rester dans la vie. Je nai quelle.». Le narrateur est réduit à quelques répliques, son attitude indiquée rapidement. Il enregistre les conversations, et prisonnier de sa schizophrénie (en diagonale des autres donc), il ne participe pas vraiment. Il observe passivement et objectivement la bêtise, ce qui est dit semble lui glisser dessus et il nous le transmet froidement. Il semble décharné. Sa vision morcelée et sa réflexion souvent mécanique ôtent toute humanité à ses paroles. Parfois les discours paraissent le traverser et il se tient en retrait comme un genre de Bartleby mais inversé.
En effet dans la deuxième partie intitulée « dans la diagonale », cest le langage des autres qui va le bousculer, bousculant à son tour la narration et lhistoire. Sa protection y sera brisée et il recrachera toutes les paroles entendues dans un langage délirant de liberté. La diagonale est une direction oblique, cest une échappée panique de la rencontre. La rencontre, cest la catastrophe relationnelle et langagière hurlant la vanité de son vide dans les riens du petit ego dont le parler est farci en faisant semblant de dire autre chose que ce qui est dit, de rassurer par une référence complice. Ce sont les fausses bonnes blagues, les tics abrutis se voulant ironiques, la vieille histoire répétée en guise de volonté de communion alors quelle ne signifie qualiénation.
Après une dernière conversation avec une belle brune analysant avec conviction la sexualité du narrateur, analyse quil déjoue naïvement, puis un mystérieux viol de lhôtesse de maison, cest le lâchage complet « dans la diagonale », deuxième partie du roman. Toute lobjectivité précédente y est brisée comme si à force dencaisser tous les discours altiers, le narrateur, jusquici bien cloisonné, se fissurait en victime de viol, lui aussi, mais de viol métaphorique. Lentaille quont faite sur lui ces différents discours produit sa fuite à travers champs. Elle produit aussi la folie de sa parole torrentielle vomissant des bribes de conversations entendues dans un monologue intérieur précipité comme sa course. Cet emballement est donc à limage de lemballement de ce trip plein de mots sortant en folle catharsis. Lensemble du roman se catalyse à ce moment avec tout ce qui précédait et qui montait progressivement. Léchappée finale « dans la diagonale » se fait par une écriture joycienne envolée énonçant la fuite du narrateur. Fuite des discours vides, fuite de la cruauté ordinaire sous les mots ordinaires.
Ce roman examine indirectement un aspect important de la littérature. Quand des situations cocasses et légèrement délirantes sont décrites grâce à la distance quinstaure un narrateur dérangé, quand sont entendus les dialogues desquels sourd lincommunicabilité des ego coincés dans les prisons du lieu commun et de la parole sclérosée, même si elle envoie des signes de malice, la communication sociale demeure souvent dénuée de création et piétine dans le rapport de force malsain. François Bégaudeau montre des échanges verbaux barricadés dans le petit moi grâce au moi schizophrène de Teddy. Il rappelle, entre autres, que la littérature nest pas la communication souvent blindée dans la fausseté et lincompréhension - mais quelle est ce geste de liberté totale qui balaie nos bridages quotidiens après les avoir déstabilisés.
Xavier Briend ( Mis en ligne le 01/03/2006 ) Imprimer | | |
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