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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Alessandro Baricco Homère, Iliade Albin Michel - Les Grandes Traductions 2006 / 16 € - 104.8 ffr. / 178 pages ISBN : 2-226-16980-6 FORMAT : 15,0cm x 22,5cm
Traduction de François Brun. Imprimer
Depuis lAntiquité, lIliade et lOdyssée sont considérées comme des textes fondateurs de la civilisation occidentale. Alessandre Baricco, romancier italien (Soie, Novocento, de courts romans/nouvelles doués dun certain charme) en a décidé autrement ; ou plus exactement après avoir lu lIliade, il découvre quil sagit dun «monument à la guerre», pour une épopée consacrée à décrire la guerre de Troie
Ce qui nest somme toute pas très étonnant.
QuHomère ait écrit une épopée guerrière nest pas la seule découverte dA. Baricco, qui dans une préface redoublée par une postface, nous fait part de ses étonnements de lecteur : selon lui, lIliade «a une forte ossature laïque qui ressort dès que les dieux sont mis entre parenthèses» (p.8) !! Bref, il sagit de tout réécrire, fond et forme, de telle manière que ce texte «illisible» (sic !) devienne clair au lecteur du XXIe siècle.
On reste confondu devant une telle accumulation dâneries pompeuses qui révèlent surtout linculture profonde du personnage et son goût pour le politiquement correct ; évidemment les femmes sont profondément pacifistes, dans lIliade et ailleurs : Homère et Giraudoux (La Guerre de Troie naura pas lieu) sont, sur ce point, daccord avec Baricco... Encore que, si, dans son enthousiasme, A. Baricco navait pas retiré les dieux du récit, il aurait peut-être mesuré la part et le plaisir que les déesses prennent aux combats ; et pas uniquement Athéna, dont cétait en quelque sorte le champ réservé (le job, dirait peut-être Baricco ?)
Réécrire et simplifier les classiques pour un public moins averti nest pas une entreprise neuve, cest même une pratique courante dans le domaine de la littérature enfantine ; on peut aussi rétorquer que cest un souci voisin qui anima Charles Perrault ou les frères Grimm lorsquils publièrent les contes populaires, et autres «récits de nourrice» de leur époque. Cependant, ici, ce qui est confondant, cest le contresens absolu auquel se livre lauteur, il tripatouille le texte, le transforme en récits successifs des acteurs, y ajoute lépisode du cheval de Troie, bien quil nait jamais figuré dans lIliade, car selon lui il fallait donner au lecteur la fin quil attendait ! Et - cerise sur le gâteau - Homère est «transcrit»/trahi en prose car la poésie... cest obsolète !
Bien sûr, Homère est entré dans le domaine public, ce qui allège le coût financier de lentreprise éditoriale et explique peut-être la menace dont Baricco gratifie le lecteur à la fin de sa préface : il hésitait entre lIliade et Moby Dick, son éditrice lui a rétorqué : pourquoi pas lun et lautre ; le prochain ouvrage sera donc sans doute une lecture expurgée de Melville sans doute plus conforme aux soucis de notre époque «écolo» ?
Enfin, lentreprise se serait peut-être justifiée si le texte «rajeuni» avait été beau
mais ce nest pas le cas. La langue est lourde, sans invention... Un conseil : allez lire ou découvrir Homère, les éditions en sont nombreuses, la traduction de Philippe Jacottet est superbe, et les aventures de ces dieux mêlés aux hommes quils utilisent, continuent à nous tenir en haleine et à nous faire rêver dans le texte. Et ce nest pas un mauvais livre qui nous privera de notre plaisir.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 22/03/2006 ) Imprimer | | |
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