| Christine Lapostolle Nous arrivons Seuil - Cadre rouge 2006 / 12 € - 78.6 ffr. / 144 pages ISBN : 2020884100 FORMAT : 14,0cm x 21,0cm
Date de publication : 21/8/2006 - passé par Une Imprimer
Un court récit (140 pages, petit format), découpé en paragraphes, dune densité âpre, amère, avec des moments de douceur et de tendresse, des images qui demeurent, le livre refermé.
La narratrice arrive avec son compagnon («toi, lhomme qui partage ma vie») et sa fillette («toi ma fille») dans la maison de son enfance, en Bretagne, près de la forêt de Brocéliande, au bord dun étang. Maison encombrée («Les boîtes empilées sur des cartons prêts à tomber, les tiroirs gorgés dobjets au point quils ne peuvent plus se fermer, les pièces quon peut à peine ouvrir tellement elles sont remplies de choses qui sécroulent sur vous si vous essayez de passer»), maison habitée/hantée par ses parents âgés, et perdus lun et lautre («toi mon père», «toi ma mère»), le chien, trop vieux lui aussi. Lensemble est étouffant, de trop dobjets accumulés, de trop de souvenirs, de trop de rêves non dits ou non réalisés ou perdus au fil de vies trop longues. Chacun se mure dans ce qui fut sa fonction : la mère tente de «tenir» la maison dans limmense désordre de la nuit de lesprit dans laquelle elle senfonce inexorablement chaque jour ; le père méticuleux, obsédé des détails, animé despérances minuscules et dérisoires, veux gagner aux jeux publicitaires envoyés par la poste
Entre deux générations, la narratrice, impuissante, tente de garder léquilibre, de retenir le temps, de le retrouver, de retarder la fin attendue, de maintenir le lien familial, de donner un sens
Planent des souvenirs de lecture : Sanctuaire de Faulkner, dont lhéroïne Temple Drake surgit dans sa dure fragilité à loccasion dun accident qui détourne un temps lattention de la maison et des parents vieillissants ; Rilke et la mort du chambellan Brigge, Hippocrate et ses descriptions cliniques de la mort près du lit dhôpital du père.
Père mourant, auquel elle fredonne infatigablement, une nuit entière, des chansons, en lui tenant la main, enfance et extrême vieillesse se retrouvent dans un temps aboli et des rôles inversés ; de même quelle retrouve et imagine dans les traits du vieillard toutes les ressemblances de la longue lignée daïeux depuis la nuit des temps
Les vivants, le compagnon, la fille, ne sont quombres légères alors que pèse ladieu aux parents. : «Dans les semaines qui ont suivi ta mort à toi mon père, javais la sensation de parler avec les autres depuis un marécage où mes jambes étaient engluées. Je pouvais parler, partager des préoccupations, ce quon disait mintéressait. Javais limpression quon me tendait des perches pour me sortir de ce marécage doù pourtant je ne parvenais pas à me désenliser. Ma pensée avait perdu toute agilité et les idées cherchaient leur place avec la même lenteur que celles de quelquun qui émerge à peine dune anesthésie ou dun long sommeil».
Christine Lapostolle enseigne à lEcole des Beaux Arts de Quimper ; elle écrit comme on peut peindre, à petites touches, en demies teintes. Dans ce troisième texte (après Regarder la mer, les paroles senvolent et Au grand large), elle dit bien la tristesse, la douceur et la douleur de ladieu aux parents, le monde clos et rétréci du grand âge.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 21/08/2006 ) Imprimer | | |