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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Eric Jourdan Le Songe d'Alcibiade H&O 2006 / 15 € - 98.25 ffr. / 173 pages ISBN : 2-84547-130-0 FORMAT : 14,5cm x 22,0cm Imprimer
Le nouveau roman dEric Jourdan pourrait sembler, à première vue, un simple roman historique, genre qui a aujourdhui le vent en poupe. Il se déroule en effet au Ve siècle av. J.-C., dans lAthènes de Périclès et de Socrate. Mais ce serait oublier un peu vite la personnalité quelque peu sulfureuse de lauteur. Eric Jourdan a en effet commencé à faire parler de lui en 1955 en publiant son premier roman à dix-sept ans. Comme lon nest pas sérieux à cet âge, Les Mauvais Anges était en fait un récit érotique homosexuel, qui fut alors interdit en France (il est aujourdhui disponible en poche aux éditions La Musardine, depuis 2001). Lauteur sétait déjà fait remarquer par linstitution scolaire, en se faisant renvoyer de bon nombre de collèges pour «insolence, provocation et sexualité».
Rien détonnant, donc, à ce quil ait été fasciné par le personnage dAlcibiade, héros de son nouveau roman. Lenfant terrible de la politique athénienne, rejeton dune grande famille, pupille de Périclès et ami de Socrate, instigateur de la désastreuse expédition de Sicile, traître à sa patrie (il a servi Sparte et les satrapes perses) avant dêtre de nouveau reconnu par elle, puis exilé, avait en effet tout pour le séduire. Ambitieux et insolent, mais aussi beau et intelligent, il traînait tous les curs après lui. Même après sa mort. Platon, Thucydide et Plutarque se sont intéressés à ce météore. Plus récemment, la vénérable académicienne Jacqueline De Romilly lui a consacré un de ses livres (Alcibiade, De Fallois, 1995 ; rééd. Le Livre de Poche 1997). Elle y montre que la brève carrière de ce démagogue dénué de scrupules, marquée par les "affaires" (dont les plus connues sont la profanation des Mystères dEleusis et la mutilation des hermès), préfigure tous les excès de ce qu'on appellerait aujourd'hui la politique-spectacle. De cet ambitieux séduisant et opportuniste, elle fait le symbole des dérives démagogiques de la démocratie, qui la conduiront à sa perte.
Le roman dEric Jourdan nest guère une fresque historique. Lauteur, qui nest pas historien, sattache surtout à la psychologie de son personnage, qui est plus celle dun jeune gay contemporain que dun citoyen athénien de lépoque classique. Louvrage est ponctué de nombreuses scènes érotiques et décrit abondamment les aventures sexuelles et sentimentales dAlcibiade. On sen serait un peu douté en regardant simplement la couverture, qui reproduit une célèbre fresque de Paestum représentant deux amants, ou du moins une scène de séduction homosexuelle, lors dun banquet... Les romances sont ainsi totalement inventées, de son initiation par le fils dun armateur au Pirée (on se croirait avec les marins de Genet) à ses idylles avec les jeunes et beaux Dyonis et Nikias, sans parler de sa dernière relation avec Lycos et Damasandra, lune des rares femmes à avoir touché son cur.
Car le personnage nest pas loin de détester les femmes (en tout cas la sienne), ou du moins leur corps. Il néprouve un désir sexuel impérieux que pour la Pythie de Delphes, qui le viole littéralement près de la statue dorée dApollon, scène dont on na pas besoin de souligner limprobabilité
Ses préférences, malgré la reine de Sparte à qui il donne un enfant, vont clairement aux hommes. Il nest pas sûr que la réalité historique ait été aussi tranchée, dautant plus que les Grecs de lAntiquité ignoraient tout des concepts modernes dhomosexualité et dhétérosexualité
Cependant, Eric Jourdan prend soin de faire dire à son personnage que ses murs nétaient guère conformes à la morale du temps, qui ne tolérait dhomosexualité que la relation quasi-pédagogique entre un jeune éromène et un éraste plus âgé. Alcibiade, amateur dorgies, est bien loin de ce modèle. Lauteur se plaît ainsi à évoquer léternel corps de vingt ans qui charme tous ceux qui croisent sa route, ce jeune homme amoureux du plaisir et des étreintes masculines qui aime conquérir tous les êtres qui éveillent son désir.
Le récit nest pas linéaire, cest là lune de ses originalités. Le héros meurt dès le premier chapitre. En effet, alors que sa cité, Athènes, est au bord du désastre, Alcibiade est assassiné par loncle et le frère du cruel satrape Pharnabaze sur un chemin de Phrygie. Il perd ainsi son dernier pari, qui était de séduire le roi des Perses Artaxerxès. Dans sa tête tout juste tranchée, le temps que la vie se retire, les images de son existence défilent, et forment la trame du roman. Il se remémore ainsi davantage les moments damour et de sensualité quil a vécus que les scènes de bataille ou les intrigues politiques. Les réminiscences dAlcibiade ce «songe» qui donne son titre au roman sont entrecroisées avec les réflexions et les sensations de la tête coupée, dont la vie se prolonge de manière peu crédible, en fait jusquà la rencontre tant espérée avec le Roi des Rois achéménide
Malgré quelques fautes de frappe et erreurs de syntaxe, et à condition de survoler les scènes de sexe souvent répétitives (mais cest un peu la loi du genre
), ce roman, dont on sent quil a été écrit rapidement, se laisse lire, et nest pas dénué dune certaine poésie. Le personnage principal, souvent agaçant, se révèle parfois touchant, par exemple dans la scène de la mort de Périclès, ou, à la fin, quand il sinterroge sur la réalité de cette âme dont lui a parlé Socrate. Comme quoi, Le Songe dAlcibiade ne saurait se réduire à un rêve érotique...
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 06/10/2006 ) Imprimer | | |
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