| Rosie Pinhas-Delpuech Anna – Une histoire française Bleu autour - D'un lieu l'autre 2007 / 15 € - 98.25 ffr. / 208 pages ISBN : 9782912019608 FORMAT : 14 x 22 cm Imprimer
Dans leur excellente collection «Dun lieu lautre», les éditons Bleu autour publient, après Suite byzantine, le second tome de la trilogie que Rosie Pinhas-Delpuech consacre à son histoire personnelle, familiale, et, au-delà, aux relations entre Turquie et France : Anna. Une histoire française. Traductrice, directrice de la collection «Lettres hébraïques» aux éditions Actes Sud, Rosie Pinhas-Delpuech a vécu toute sa jeunesse à Istanbul, avant de sinstaller à Paris, après une dizaine dannées passées en Israël.
Dans Anna (le prénom de sa tante), elle renoue un à un les fils dune longue histoire séculaire : celle de ces communautés juives qui depuis le XVe siècle se sont installées dans lempire ottoman, fuyant discrimination, pogroms, exils imposés, pour trouver le calme au loin. Elle cite cette lettre de 1428 dun Itshak Tsarfati qui en hébreu signifie «Isaac le Français» (il venait en fait dAllemagne, mais était dorigine française) et qui invite ses frères à le rejoindre : «Je vous le dis, la Turquie est un pays dabondance où, si vous le voulez, vous trouverez le repos.(
) Ici chaque homme peut mener une existence paisible à lombre de son figuier et de sa treille
Ici personne ne vous empêchera de porter les plus beaux atours, alors quen chrétienté vous nosez habiller vos enfants en rouge ou bleu, couleurs que nous affectionnons, de peur de les exposer aux coups et aux insultes et vous êtes obligés daller et venir misérablement, vêtus de couleurs sombres» (p.66).
Nous suivons ainsi sur trois niveaux chronologiques la famille de Rosie Pinhas-Delpuech : les ancêtres des temps médiévaux et leurs descendants jusquau XIXe siècle, à travers les «traces», documents échappés au hasard de la perte ou de la destruction, pierres tombales à peine lisibles, histoires locales
Plus près : parents et grands-parents entre Erdine en Turquie, Istanbul et Paris, dans un XXe siècle lourd de drames. Histoire personnelle enfin : celle de la découverte/redécouverte/réappropriation progressive dune identité, entre Turquie, Israël et France. Identité qui passe par la langue : lhébreu, le français, lallemand
langue maternelle, langue paternelle, langue dun peuple, langue du sacré ou/et du quotidien.
Anna, la tante à peine connue, dont lhistoire pèse lourd : jeune fille élevée à Notre-Dame de Sion, dans linsouciance et laisance. Femme rattrapée par les années tragiques de la guerre et de loccupation, dont le mari et les siens disparaissent en déportation, le fils unique engagé dans la 2è DB est tué dans les combats de la Libération ; elle et lui se sont convertis pendant la guerre et ont été baptisés, ils reposent désormais ensemble dans le cimetière de Neuilly, près de larche de la Défense, tombe française
Anna trahie pendant la guerre, spoliée, victime comme ses proches de la délation et de la cupidité, Anna qui sest tenue debout, qui ne sest jamais avouée vaincue dans ladversité, et qui, âgée, écrit en 1959 au général de Gaulle, lhomme du 18 juin 40 : «mon mari et mon fils ont répondu à votre appel de 40
Je connais sept langues étrangères (
) je pourrais vous être utile, et avec mes humbles connaissances et avec mon dévouement sans bornes» (p.173). Anna dont Rosie hérite des archives, lettres, papiers divers, qui laident à reconstituer une vie sur laquelle sa tante a volontairement gardé le silence.
Mémoire, histoire, langue sentrecroisent dans ce beau récit qui parle au singulier de luniversel.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 08/06/2007 ) Imprimer | | |