| Scott Anderson Moonlight Hotel Belfond - Les Etrangères 2007 / 484 € - 3170.2 ffr. / 21 pages ISBN : 978-2-7144-4268-0 FORMAT : 14,0cm x 22,5cm
Traduction de Oristelle Bonis. Imprimer
Quelques km² du Proche Orient, un royaume obscur perdu entre trois montagnes et une baie, le Kutar et sa capitale Laradan, dessiné du temps de loccupant anglais, aujourdhui disputé entre un pouvoir prétendu légitime et des rebelles peu scrupuleux. Et au milieu, la belle société diplomatique, un occident en miniature, avec ses généraux yankees aux méthodes
militaires, ses lords britanniques élevés dans la soie oxonienne, ses capitaines dindustries italiens, ses héritières indigènes, acculturées façon British chic, et ses conseillers techniques, là sans trop savoir pourquoi.
Tel est le cas de David, attaché dambassade américain, la trentaine flamboyante, chargé du développement local, durable, etc. ; trouver quelques gisements pour aider à la relance économique, soient-ils pétrolifères, métalliques ou simplement sources deau, en faire le rapport tant à Washington quaux barons locaux, et noyer lennui dans les soirées mondaines et les bras de belles aux noms vite oubliés
Jusquà ce que la roue tourne et que ce point mort de la géopolitique mondiale devienne comme un Vésuve : lattaque de la capitale côtière par des rebelles, peut-être éperonnés par quelques Iznogood façon Pentagone, bouleverse linertie du petit royaume. David devient spectateur et acteur principal dune tragédie proprement humaine
Et on le suivra volontiers, porté par une narration prenant le temps, long, dun véritable roman, soucieux de détails sans quils soient inutiles, attentif au lent déroulement des choses, cisaillant la psychologie des différents personnages. Une belle leçon de choses sur ce quest une guerre : sa violence avant tout la parenthèse sur les dommages réellement causés par lexplosion dune bombe, est glaçante, et terriblement efficace -, ses lenteurs ensuite, celles, surtout de la diplomatie. Toujours plus dépité, David, devenu seul représentant officiel des Etats-Unis, lit avec effarement la prose creuse livrée par le Département dEtat : une cécité volontaire, habillée dun jargon maîtrisé à la perfection, alors que tombent les bombes. Le machiavélisme enfin des hommes de pouvoir, politiques et militaires jouant à la guerre plus quils ne la font. Affligeant
«Toute ressemblance avec des événements existant», nest évidemment pas fortuite et Scott Anderson connaît son affaire. Journaliste, il fut à plusieurs reprises correspondant de guerre dans quelques-uns des points chauds du globe. Prête-t-il dailleurs un peu de lui-même à David, héro du roman, ou au reporter, arrogant en apparence, en fait vrai cur tendre, pétri didéaux, membre du petit cénacle vivant à labri des bombes dans lhôtel qui donne son titre au roman ? Une comtesse hongroise de pacotille y étale son ego de diva
David samourache de la belle Amira Chalasani, le temps passe, le Kutar senfonce dans les brumes des incendies et du ajira tokharan, une purée de pois porteuse de malédiction, dit-on, les valises diplomatiques vont et vienne, étrange noria du vide. Une splendide comédie humaine.
Bruno Portesi ( Mis en ligne le 29/06/2007 ) Imprimer | | |