|
Littérature -> Romans & Nouvelles |
| John Dos Passos La Grande époque Gallimard - L'Imaginaire 2007 / 10 € - 65.5 ffr. / 325 pages ISBN : 978-2-07-078639-8 FORMAT : 12,5cm x 19,0cm
Traduction de Jean Rosenthal. Imprimer
La Grande époque nest pas le roman le plus célèbre de lécrivain américain John Dos Passos (1896-1970) qui connut une gloire littéraire assez incroyable avec la fameuse Trilogie USA qui comprend Le 42è parallèle (1930), 1919 (1932) et La Grosse galette (1936). Manhattan Transfer, écrit en 1925, et qui décrit la vie à New York au début du siècle dernier, avait déjà lancé la carrière de lécrivain. La Grande époque a été écrit en 1958, cest-à-dire durant la seconde partie de la carrière de lécrivain.
Artiste sensible (il était aussi peintre), Dos Passos rendit célèbre ce que lon a appelé la technique littéraire du «courant de conscience», sorte de monologue intérieur qui montre en gros la pensée dun personnage en même temps quelle sopère. Et cest le cas dans le roman auquel nous nous intéressons à l'occasion de sa parution dans la collection «L'Imaginaire» chez Gallimard.
Roland Lancaster, dit Ro, est ce que lon appelle un journaliste sur la fin. Approchant de la soixantaine, il sait pertinemment que sa carrière est derrière lui, mais son travail est tout ce qui lui reste de tangible, sa femme étant décédée ; lhomme vieillissant nest plus que lombre de lui-même. Lors dun voyage à Cuba où il embarque avec la jeune Elsa, femme un peu superficielle et frivole quil a rencontrée il y a peu, il espère relancer son existence en faisant un dernier bon reportage. Mais rien de tout cela narrive. Entre deux verres avec la jeune femme ou avec dautres protagonistes locaux, il va se souvenir des années de guerre auxquelles il a participé en tant que reporter, années de conflits quil a couvertes de près, toujours en phase avec un événement militaire ou diplomatique de premier ordre. Cest ainsi quil va replonger dans latmosphère des combats fluviaux ou aériens, de la bombe nucléaire, de lEurope dévastée, du procès de Nuremberg sans pour autant oublier son passé familial et privé ; sa femme Grace et ses collègues journalistes, Roger Thurloe ou Mortimer Price, qui ont influé sur lhomme brisé quil est aujourdhui. Ces souvenirs tournent à lobsession, et le lecteur remarque cette tragique rupture qui existe entre son passé daventurier et son présent marqué par la désillusion et une sorte de déchéance morale.
Tout le livre est construit autour de ces ruptures : passé/présent, guerre/paix, mariage/célibat, quotidien pauvre/souvenirs intenses. Son voyage à Cuba ne se déroulant pas comme prévu, il se remémore sempiternellement, le temps de longs chapitres, ses souvenirs de guerre dans le Pacifique, ses drames personnels, la couverture du procès de Nuremberg ou encore son influence durant le dernier mandat de Roosevelt. Ses analyses personnelles sur les situations décrites sont celles dun journaliste audacieux, catapulté par son métier dans des zones dangereuses, au cur des conflits et des décisions politiques. Cette vie trépidante, qui le dépasse en fait, est perçue comme un exemple qui séloigne petit à petit de sa vie de pré-retraité. Le livre est construit sur cette dichotomie : une narration faite à la troisième personne du singulier lorsque Lancaster se trouve à Cuba à la fin des années 50 et le passage à la première personne lorsque ce dernier évoque son passé de reporter de guerre. Cette distinction grammaticale insiste dautant plus sur la distance qu'elle met Lancaster dans son présent afin de revivre un passé révolu mais nostalgique.
Roman du désenchantement, de la nostalgie, et de la mélancolie, La Grande époque nest pas le grand roman de Dos Passos. On se noie un peu dans cette accumulation de souvenirs de guerre et de ce présent peu reluisant. Le style, volontairement journalistique, sil peut émouvoir en décrivant de manière sensible et directe un événement historique ou intime, finit par lasser et se perdre dans une accumulation danecdotes parfois peu convaincantes. Cest dommage car lon devine que Lancaster pourrait être le double de Dos Passos qui a couvert véritablement le conflit entre 1942 et 1947. Peut-être que la conversion de ses souvenirs en roman na pu sadapter pleinement au genre. Des mémoires de guerre auraient peut-être suffi. Restent quelques passages à saluer et qui nappartiennent quaux grands écrivains, comme létait Dos Passos.
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 11/01/2008 ) Imprimer | | |
|
|
|
|