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Les nuits sont faites pour lire
Emmanuel Pierrat   Troublé de l'éveil
Fayard 2008 /  14 € - 91.7 ffr. / 195 pages
ISBN : 9782213635248
FORMAT : 12,0cm x 18.5cm

Date de parution : 20/08/2008
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Très jeune, E. Pierrat reçoit la révélation qui le fait basculer dans un monde à part : les nuits sont en réalité les annexes des jours, de ces jours trop courts pour étancher sa soif de lecture. Cette intuition merveilleuse le plonge dans une débauche de nuits blanches dont la succession ininterrompue échoue à perturber sa vie diurne ; car c'est ici que surgit l'étrangeté : il devient vite évident, aussi incroyable que cela puisse paraître, qu'il lui est possible de ne glisser que deux ou trois heures de sommeil au creux de ses journées. Son corps et son esprit s'en satisfont. Mieux que cela : c'est dormir davantage qui constitue un objectif hors de sa portée. Et, au contraire des insomniaques, il n'en ressent ni fatigue ni frustration.

Patiemment, il tente dans Troublé de l'éveil d'expliquer pourquoi, plus qu'un don inestimable ou une maladie vaguement monstrueuse, cette bizarre configuration de son rythme de vie est avant tout un conglomérat de tout cela, une différence qui se mue dans le regard des autres en obstacle sur le chemin de la normalité. En effet, en rédigeant ce témoignage à l'instigation d'une éditrice intriguée par cette anomalie dont elle avait eu écho, ainsi qu'en lui donnant pour titre la catégorie médicale dans laquelle le classe le praticien chargé de le suivre, il anticipe une injonction encore informulée du lecteur. Il se sait sommé de s'expliquer sur ce qui en lui n'est pas semblable au commun des mortels et le fait, mais en se repliant derrière l'analyse que son entourage propose de son comportement. S'il n'en tenait qu'à lui, et si l'on croit ce qu'il en dit, il ne parlerait jamais de son emploi du temps si particulier et se considérerait comme un homme parfaitement ordinaire (sur ce plan-là) puisqu'il ne peut pas s'imaginer passer plus de temps dans un lit qu'il n'en passe actuellement.

Le livre se lit donc d'une manière double. A la fois plaidoirie pour le caractère spontané, naturel et épanouissant de ce mode de vie dans le cas de l'auteur-narrateur et exposé des mille petits (et gros) tracas qui naissent dans son existence du fait du décalage entre son monde et celui des dormeurs, le livre d'Emmanuel Pierrat se veut à la fois une démonstration de la cohérence de sa vie individuelle, et de l'incohérence de son environnement tel qu'il est en mesure de l'envisager.

Alors il se lance dans une autobiographie thématique, celle de son rapport au temps. Celui-ci n'a pas toujours été aussi organisé qu'il l'est aujourd'hui. La découverte de la nuit qui lui offre un double mystérieux du temps «officiel» s'est d'abord faite d'une façon enthousiaste et euphorique, ouvrant des perspectives gigantesques, comme une frontière en déplacement perpétuel ; il en a profité pour se jeter à corps perdu dans ce qui suscitait chez lui à l'époque les plus grands élans de passion, qu'il s'agisse de la lecture, à la lueur d'une lampe de poche et caché sous les draps, ou bien des sorties parisiennes. La manière dont il organise et prévoit la gestion des heures tant nocturnes que diurnes, désormais, peut faire croire à un changement drastique. Une telle interprétation ferait cependant fi du but que cette rigueur sert ; car il est en réalité question d'apprendre à dilater plus encore le temps, à repousser toujours davantage les limites que celui-ci peut s'efforcer de poser à l'être humain. Il faut à l'auteur chaque fois plus d'activités, c'est le fait de mener de front tous ces métiers (juriste, écrivain, éditeur, traducteur, etc.) qui lui procure cette satisfaction : le sentiment d'avoir refusé de s'incliner devant la nécessité de dormir. Bien qu'il s'interroge finalement sur ce point en se demandant s'il n'aimerait pas, au moins de temps à autre, se comporter comme tout le monde, il semble clair à la lecture de ses brefs chapitres qu'il est heureux, et fier, de perdre si peu de temps à dormir. Ce qui l'ennuie, c'est simplement qu'on ne le comprenne pas.

Mais la nuit est son domaine, l'empire sur lequel il règne en maître sans conteste dans la ville assoupie. Les quelques noctambules qui s'y perdent parfois ne peuvent rivaliser avec lui car eux, il leur faudra récupérer, plus tard, ces heures qu'ils ont sacrifiées au plaisir de hanter le labyrinthe ouvert par le crépuscule.

L'auteur est à l'aise avec son sujet. Après tout, si l'en était un qui lui appartenait en propre, c'était bien celui-là. Tout au plus pourra-t-on regretter, dans cet affichage de sa spécificité, ce que l'on peut regretter dans toute biographie consacrée à un quidam, fût-il un peu plus qu'un illustre inconnu à la vie parfaitement banale et routinière. Il s'agit, malgré tout, du récit d'une existence que le narrateur tient à nous présenter comme normale en dépit de son rythme inhabituel ; il nous en présente les petits aménagements, et, faute d'avoir vécu semblable situation, le lecteur peut se trouver parfois en peine de s'y intéresser très profondément. Quoiqu'il en soit, la taille très raisonnable de l'ouvrage (moins de deux-cents pages) et le style clair et presque sec évitent tant à l'auteur qu'à celui à qui il s'adresse de s'embourber dans des longueurs trop pénibles. On referme le livre avec l'impression de s'être immergé pour un bref moment dans un monde à part, tout en se désolant de ce que ce parfum, d'ailleurs loin d'être désagréable, soit si fugace.


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 18/08/2008 )
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