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Parce qu’il n’y a rien de vrai comme une femme forte
Emmanuelle Bayamack-Tam   Une fille du feu
P.O.L 2008 /  16 € - 104.8 ffr. / 192 pages
ISBN : 978-284682-272-5

Date de parution :25/08/2008.
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Charonne – pas comme l'actrice américaine, Charonne «comme le métro où la police a tué des gens» (p.28) – rayonne tout entière de vitalité, déborde d'énergie et de beauté. Malheureusement les gens ont tendance à fuir comme la peste les conseils que, bonne fille, elle leur donne, et ce pour une simple et pauvre raison : Charonne ne ressemble à rien de connu, à part peut-être une de ces petites déesses de la fertilité en terre cuite que l'on voit dans tous les musées d'histoire du monde. Généreuse et gironde, démesurément douce et pulpeuse, elle a le rôle difficile d'être grosse dans une société mesquine, ratatinée sur elle-même.

Statuette d'argile, elle l'est également parce qu'elle a été polie, travaillée, modelée par les doigts d'une mère à première vue démente ; son corps est devenu une oeuvre d'art, parfaitement artificielle et à visée universelle. D'ailleurs, qui pourrait dire d'où lui viennent ces pommettes slaves non coordonnées à sa bouche violette et épaisse, laquelle n'est normalement pas envisageable sur une femme aux cheveux africains, ou bien ce teint olivâtre qui jure avec ses tâches de rousseurs ?

Charonne ne vient de nulle part parce que sa mission l'oblige à aller partout. Elle s'est fixée un minimum de seize rencontres par mois et travaille activement à l'amélioration du goût féminin, de cette façon que ses semblables (desquelles elle ne peut être qu'extrêmement différente, évidemment, mais là n'est pas la question) ont de se mettre en valeur et de s'offrir au regard des autres. C'est si simple, à Paris, de prodiguer des avis et des suggestions aux passantes du métro ; et qu'importe si celles-ci la renvoient choquées dans le no man's land esthétique dont elle n'aurait pas dû sortir, à les en croire. Non, ce qui est terrible, ce n'est pas tant cette manière que la population mondiale a de l'exclure, elle, Charonne la sublime. C'est plutôt l'obsession qu'elle a de la remettre de force dans une case. Vous êtes kabyle? Vous êtes éthiopienne? Malgache? Péruvienne?

Aussi, quand Arcady entre dans sa vie et décide qu'elle est unique et magnifique, qu'elle est celle qu'il faut et qu'il veut, il n'est guère compliqué d'imaginer le chambardement que cela provoque dans son coeur, sa tête et ses tripes. Enfin, elle existe et l'on attend d'elle quelque chose qu'elle est la seule à même d'offrir, l'héroïne méconnue va enfin pouvoir se donner la pleine mesure de sa force, sa beauté, son talent. Détail important : Arcady aime Daniel. De toute façon, Charonne s'est prise d'une drôle de passion une étrange réincarnation de Lady Di, entichée d’animaux bizarres et nymphomane. Il y a aussi Gladys, l’anorexique guérie, mais elle c'est une amie, une ancienne élève de Charonne pourrait-on dire.

Dans ce livre plein d'amour énorme et de petite haine aigrie, point de pitié ou de sentimentalisme. Les forts se font malmener par les faibles, ce qui ne change guère, mais ils ont pour les dévorer de l'intérieur le feu, la vie et il n'y a pas d'injustice qui tienne devant la générosité. Il y a des miracles et même des espoirs de canonisation parce que faire repousser un clitoris excisé par imposition du pouce, ce n'est pas à la portée du premier venu. Il y a la mort, aussi.

Sous la plume exubérante d’Emmanuelle Bayamack-Tam, les personnages tout aussi improbables que ceux qui peuplent ses romans précédents s’entrechoquent joyeusement, beaucoup trop vite pour s’étreindre vraiment et avec une énergie d’autant plus vitale que le monde est mal parti, il faut bien l’avouer. Si au moins il acceptait de prêter une oreille aux axiomes essentiels dont le fait bénéficier Charonne... Elle fait pourtant l’effort de les énoncer simplement, avec concision, interrompant pour cela ses discours impétueux et flamboyants. Elle sait bien qu’elle a raison et se doit donc d’être patiente car si elle est parfaite, ce n’est malheureusement pas le cas de tout le monde.

Style riche et phrases rythmées colorent une tendresse dépourvue de fioritures et de fausse politesse, une tendresse qui ne pouvait qu’être tendresse et n’a donc pas d’échappatoire, cisèlent un désenchantement caché qui ne débouche pas pour autant sur du désespoir. Après tout, c’est ça le courage : savoir que les succès auxquels on peut prétendre coûteront de nombreux sacrifices et rechercher malgré tout l’exploit, même à ses propres dépends. Ça donne la force de dire «Pitié pour moi, non merci, surtout pas. Je suis Laïka, la martyre ignorée de l’aventure spatiale» (p.183). Et puis de se relever encore une fois et repartir à l’assaut du monde et de sa bêtise méchante.


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 25/08/2008 )
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