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Aunque bajo la tierra mi amante cuerpo esté...
Xavier Gual   Ketchup
Au Diable Vauvert 2008 /  17 € - 111.35 ffr. / 308 pages
ISBN : 978-2846261487

Date de parutions : 25/08/2008.
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Miki ne sait pas qui est Miguel Hernandez, et pourtant c'est son nom à lui aussi. Miguel Hernandez, c'est un poète espagnol, seul écrivain de la Génération de 27 à n’avoir pas reçu de formation académique, mort pendant la Guerre Civile à 31 ans. Et Miki, c'est comme ça qu'on appelle Miguel Hernandez, celui qui deale à Barcelone. La vie, il connaît, et ça ne risque pas d'être grâce à l'école, vu qu'il s'en est fait virer depuis un petit moment déjà. Les donneurs de leçons, ce n'est pas trop son genre, et le moins qu'on puisse dire c'est que lorsqu'on est un gamin de 18 ans qui veut simplement s'acheter une meilleure voiture que Vinagre et devenir le roi du quartier, il faut louvoyer vite et bien pour les éviter.

Suivre les conseils et rentrer dans le rang, ce serait la mort. Pourtant, Xavier Gual met les choses au clair dès les premiers mots : «La liberté n'existe pas. La vie ne t'offre que deux options : te fondre dans le troupeau ou mourir». Alors on voit mal comment Miki pourrait s'en sortir. À peine le temps de vivre à la va-vite, plutôt des coups de pieds donnés dans le vide pour pas rester le corps ballant ; d'ailleurs, à peine un chapitre de rebuffade est-il encaissé, que déjà monte, tonnante, la parole infinie, sans retour à la ligne, de tous les flics du plaisir, de tous ceux qui seraient prêts à tout pour faire couler sa vie à lui dans un sens donné. Et ils ont raison, évidemment. Et alors ?

Miki n'est pas dupe. Il voit Santiago, son compère de galère, plus connu sous le nom de Sapo (ce qui signifie en espagnol crapaud), se faire harponner peu à peu par les chants des sirènes de l'emploi, s'abaisser jusqu'à chercher du travail – quitte à montrer ses fesses et le reste pour mendier un salaire, jusqu'à fréquenter des «esquinèdes» parce qu'ils ont de la bière et des entrées pour le foot. Il le voit et il l'accompagne. En version minable. Il voit Sandra, sa copine, trop maquillée, se targuer d'indépendance parce qu'elle bosse comme caissière, repue de bonne conscience et toujours prête à lui laisser mettre la main à la poche, mais pas à la lui prendre dans la sienne. Il voit des tas de gens souffrir autour de lui, et continue ses affaires, à grand renfort de textos, d'avertissements virils, de proclamation de sa superbe.

Avec ce personnage dépassé et si lucide qu'il préfère ne penser qu'à la tête que feront les autres quand ils le verront passer dans la rue à toute allure, l'auto-radio poussé au maximum, X. Gual opère une plongée vertigineuse, amère, dans le monde sans espoir des enfants paumés à qui l´on a donné une carte d'électeur et avec ça l'injonction expresse de faire enfin quelque chose de leur existence. Ils sont incultes, se cachent derrière des rêves préfabriqués. En réalité, ils aimeraient peut-être vivre pour de bon, mais quand on vous a programmé pour la survie, vous finissez par vous moquer de tout et penser à la mort. Penser à elle comme à un paquet de ketchup écrasé sur un tee-shirt blanc, une mort façon fast-food parce qu'après tout la vitesse c'est encore ce qu'il y a de plus vrai, et tout le monde sait qu'un peu de speed ça aide à considérer les choses différemment.

C'est pour ça que le roman, écrit tout d'un souffle, se lit dans l'urgence. Les mots, parfois crûs - en fait plutôt dépourvus de tout apprêt, dénudés, que vraiment vulgaires -, redisent à la fois la fanfaronnade et la pauvreté de l'existence : une existence mise en scène, pour finir en beauté ou simplement pour camoufler le vide. On peut rire, s'indigner, mais il y a beaucoup de perdants et pas de gagnants dans cette histoire triste ; une parabole baroque et moderne sur la consolidation désespérante d'un monde même pas nouveau, et l'impossibilité de toucher le soleil quand on a dans les mains des armes forgées par les tenants de la médiocrité, quand on étouffe dans de faux choix, à ne pas savoir si c'est mieux d'être retenu ou éliminé dans les castings du grand spectacle. Disparaître de cette terre, ça devient alors une farce, une petite et ultime provocation lancée à la face de ceux qui auraient voulu plus de sérieux.

Ah, et au fait, en 1942, Miguel Hernandez n'a pas été fusillé par les franquistes. Il est mort de la tuberculose dans leurs geôles, après avoir écrit des poèmes sublimes à sa femme, qu'il trompait assez abondamment.


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 27/08/2008 )
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