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Nouvelles preuves de l’existence d’Henri Michaux | | | Jean-Pierre Martin Henri Michaux Gallimard - NRF Biographies 2003 / 31.50 € - 206.33 ffr. / 750 pages ISBN : 2070746488 FORMAT : 16 x 24 cm Imprimer
Henri Michaux, né à Namur en 1899, erre dans le massif poétique contemporain comme les «hommes-creux» au cur du Mont Analogue de René Daumal, ces «cavernes voyageuses» qui ne saventurent jamais au-dehors de crainte de se dissoudre dans lair. «Ils ne mangent que du vide, ils mangent la forme des cadavres, ils senivrent de mots vides, de toutes les paroles vides que nous autres nous prononçons.» Chacun reconnaît leur existence aux résonances quils produisent à la surface du réel, aux profils humanoïdes que révèle lérosion après leur mort (celle de Michaux remonte à vingt ans), aux traces de leur passage enregistrées par les éditeurs quil choisissait pour leur diligence à le délester, abandonnant ses écrits derrière lui comme des pelotes de rapace, maigres indices de son existence.
Jusquà ce jour, et malgré la publication dune partie de sa correspondance sauvée de la destruction préconisée à ses destinataires, l«homme-creux» Michaux avait su se préserver de la pétrification biographique, ne livrant à loccasion de rares interviews que des pistes broussailleuses. Son uvre ambiguë demeurait la seule voie daccès. Il y avait donc un risque à vouloir capturer ce fugitif, précipiter sa nature gazeuse, risque que Jean-Pierre Martin a pris, sûr des ruses de son gibier, comme ces chasseurs inspirés qui ne courent pas le trophée mais la familiarité avec le monde sauvage la «barbarie» de Michaux.
Michaux, cest le peintre qui ferait son autoportrait sans miroir. «Moi, je veux voir et vivre», disait l'apprenti Rimbaud à vingt ans : mais sans être vu. «Gréviste du réel», «artiste de la faim», Michaux de façon générale mangeait très peu de ce pain-là ; sur les photos, il est toujours bouche fermée, regard hors champ ; les autres ne semblent même pas remarquer la présence de celui que Jouhandeau nommait justement «lectoplasme». Les photos prouvent à peine son existence. Mais son écriture est la preuve dun «phénomène» en deçà de la langue. «Freud na vu quune petite partie», écrit-il en 1924, et lannée suivante : «Je me fous de la pensée.» Géographe, ethnologue, linguiste, naturaliste, tachiste et chaman des contrées indicibles, Michaux ninterprète ni nausculte : il traduit, décrit, consigne. Aux révoltes sédentaires du surréalisme, il oppose la force dattraction de lailleurs : Amazone, Inde, Chine, Grande Garabagne, «lointain intérieur», désordre mental, mescaline, fatigue, maladie, bras cassé, tachycardie, panaris. «Toute drogue est bonne à ce buveur deau.»
Ainsi, le biographe se trouve devant Michaux «face aux verrous» des mille chambres dhôtels quil occupa et dont nul ne savait ladresse. Ennemi de toute traçabilité susceptible de lenraciner dans sa Belgique natale, «race infecte» qui l'avait rendu à lui-même immangeable. On reprocherait presque à Jean-Pierre Martin davoir traqué lanonyme le plus célèbre de la poésie moderne, si Michaux navait simplement cherché à décourager lenquête, non à lempêcher. En partant à la collecte de données biographiques, Martin ne pouvait certes pas manquer de moissonner de linconnu à pleins bras. Coulant les mots inédits de Michaux dans l'empreinte de l'«homme-creux», il révèle un insurgé désabusé, un caustique de chair et d'os, aussi déplacé en chauffeur de taxi bruxellois qu'en factotum chez l'éditeur Kra. Il leste Plume l'évanescent, l'attable, l'assied, lui passe un maillot de bain, larme dune raquette de ping-pong, le promène dun bout à lautre de la France et du monde, et même le couche avec des femmes.
On se doutait que Michaux ne se nourrissait pas de rosée, on ne pourra plus le comparer au fantôme de Lautréamont. Jean-Pierre Martin montre surtout que sa «vie dans les plis» nétait si bien cachée que pour escamoter les clés dune uvre souvent impénétrable. Limpression d'étrangeté qui saisit le lecteur de Michaux, comme devant les reliefs d'une culture diluvienne, prend un sens plus commun après les trouvailles archéologiques de Martin. La vie afflue dans luvre. Les cauchemars de Plume séveillent dans un vécu. La mort affreuse de ses parents lui défenestré, elle folle mutique donne un sens moins sublime et plus grave à certains de ses poèmes. Même son onomastique délirante le rappelle à ses secrets. Or, où réside le miracle (pas si misérable) de ce livre, cest que la masse d'éléments neufs versés au dossier dudit Michaux non seulement ne comble pas tous les vides dune vie dérobée, mais elle en accuse les «trous». De même, en prenant épaisseur, les empreintes humaines de Pompéi témoignent de la forme d'une vie et de la forme dune mort ; elles ne livrent aucune identité.
Jean-Pierre Martin a démoli la légende d'une uvre sui generis et prouvé l'utilité dune chasse au dahu qui paraissait vaine. Non seulement ce chasseur sans fusil ne s'avoue pas vaincu de devoir recourir à l'hypothèse subjective, mais il parvient à faire sortir Michaux du bois. Un poète quitte la brume lespace dun livre, et sil se confie ici à Franz Hellens, Hermann Closson, Jules Supervielle, Jean Paulhan ou Aline Mayrisch (dans le journal inédit de celle-ci), sa passion du retrait n'en demeure pas moins insondable. «Quand vous me verrez, allez, ce n'est pas moi.»
Michaux comme Gide aimait observer les insectes. Jean-Pierre Martin nous en donne à voir un bien curieux. Il ne lépingle pas, puis le laisse retourner dans l'herbe épaisse. A-t-on rêvé ?
Olivier Philipponnat ( Mis en ligne le 21/01/2004 ) Imprimer | | |
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