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Littérature  ->  Essais littéraires & histoire de la littérature  
 

Langue vivante
Louis-Sébastien Mercier   Néologie
Belin 2009 /  26 € - 170.3 ffr. / 591 pages
ISBN : 978-2-7011-4271-5
FORMAT : 15cm x 21,5cm

Notes de Jean-Claude Bonnet.
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Si son Tableau de Paris écrit en 1781 valut en son temps la célébrité à Louis Sébastien Mercier, le reste de son oeuvre est longtemps resté dans l'oubli, et c'est avec bonheur que nous redécouvrons aujourd'hui grâce à Jean-Claude Bonnet sa Néologie, recueil de mots nouveaux ou au sens enrichi, glanés principalement dans les oeuvres des écrivains des Lumières et de la Révolution. L'ouvrage, passé quasiment inaperçu lorsqu'il paraît en 1801, n'avait jamais été réédité jusqu'à ce que Jean-Claude Bonnet entreprenne de le dépoussiérer et nous présente un texte qui frappe paradoxalement par sa modernité.

Moderne d'abord, parce que cet amoureux des mots avait pour dessein de régénérer la langue française, qui pâtissait selon lui de l'académisme du XVIIe siècle. Moderne, ensuite, parce que le débat autour de la néologie n'a rien perdu de son actualité : nombreux sont encore aujourd'hui les défenseurs farouches d'une langue française immuable, grinçant les dents chaque année à l'annonce des ajouts opérés dans le Petit Robert... A la fin du XVIIIe siècle, la même querelle divise les Anciens et les Modernes dont Mercier fait indubitablement partie. Déjà dans le Tableau de Paris, Mercier faisait la différence entre le néologisme, contestable par nature, et la néologie, qui n'est pas «la création de mots bizarres [mais une] signification neuve, donnée à telle expression, des mouvements plus précipités, des termes creusés et approfondis».

Conscient de ce que cela supposait forcément des choix subjectifs – faire le tri entre les acceptions heureuses et des expressions plus douteuses – , Mercier revendique ici pleinement un travail de solitaire, se souciant peu d'être approuvé par ses contemporains, mais assumant au contraire le statut d'«hérétique de la littérature». Il ne s'agit pas pour lui de proposer un énième dictionnaire : les mots qu'il recense ne sont pas à proprement parler suivis d'une définition, au sens classique du terme, mais restitués dans le contexte de leur découverte, ou assortis d'un petit texte ciselé par ses soins, souvent savoureux et toujours plein d'esprit. Mercier convoque ainsi, à côté de ses propres trouvailles, plus d'une centaine d'auteurs dont il nous livre des citations parfois peu connues. Jean-Claude Bonnet s'est fait fort, dans un index fourni, de nous en restituer l'origine, et de recenser tous les auteurs sur lesquels s'était appuyé Mercier. Parmi eux, Montaigne et les philosophes des Lumières - avec Rousseau, Diderot, mais surtout Voltaire et Rétif de la Bretonne - se taillent la part du lion. Le lecteur piochera avec gourmandise dans cet amas hétéroclite de mots et expressions dont nous ne pouvons ici donner que quelques exemples.

En digne héritier des Lumières, Mercier fait la part belle au vocabulaire politique avec des mots comme «légicide», «liberticide», «juntocratie» ou le commentaire très satirique voire libertin qu'il propose pour «ancien régime». Il ne manque certes pas d'humour, ainsi pour le verbe «aduler» cette seule sentence : «Aduler un homme puissant, c'est la règle ; mais aduler chaque jour des comédiens et des comédiennes, c'est le bas emploi des folliculaires». Certains de ses mots, véritables petits bijoux sémantiques, paraissent tout droit sortis d'une chanson de Brassens : on imagine aisément le poète remplacer le coiffeur par le «calamisteur», faire voleter les «bestiolinettes» dans La Chasse aux papillons, ou encore faire rugir un «calomniographe» devant les méfaits de son Pornographe ! Le lecteur sera surpris de tomber également sur des expressions dont on dirait aujourd'hui qu'elles frisent le «jeunisme» : ainsi les verbes «se tifer» (pour s'accoutrer ridiculement), ou «faire vibrer» (une réponse bien sentie à qui vous a attaqué) semblent directement apparentés à l'argot pratiqué dans nos banlieues.

Si certains mots, encore couramment usités, apparaissent avec un sens totalement différent - par exemple un homme «taquin» n'est pas pour Mercier un gentil plaisantin, mais une personne avare -, d'autres expressions, encore audacieuses du temps de Mercier, ont connu depuis lors comme il l'espérait, un franc succès, et sont passées dans le langage courant : point besoin aujourd'hui de préciser le sens du verbe «tartufier» ou de la locution «un tantinet». En ce qui concerne cette dernière, Mercier semble s'être laissé charmer par la sonorité du mot : «Tantinet ! Mot charmant ! Je t'adopte», s'exclame-t-il à la fin de sa définition. D'autres mots, en revanche, n'ont pas survécu : personne n'utilise aujourd'hui le verbe «hainer», dont Mercier précise qu'il n'est pas tout à fait le synonyme de «haïr»; «amourer», qui n'est pas «aimer», n'a gardé que sa forme substantivée d'«amourette», et le verbe «ouïr», qu'on a bien du mal à conjuguer aujourd'hui, n'a pas exactement le même sens qu'«entendre». Mercier serait fâché d'apprendre qu'on les a laissé tomber, car, nous exhortait-il dans sa préface, «quand une idée pourra être exprimée par un mot, ne souffrez jamais qu'elle le soit par une phrase». Et l'on peut effectivement regretter que Mercier n'ait pas vu juste en proposant des mots qui n'ont pas fait fortune, alors qu'ils sont très séduisants. Au hasard parmi cent autres, le verbe «embesogner», trouvé dans Montaigne et dont il nous livre la citation exacte (Essais, III, 9) : «Je me console aisément de ce qui adviendra ici, quand je n'y serai plus. Les choses présentes m'embesognent assez». Et Mercier de commenter : «Au mot embesogner, essayez de substituer un autre mot, sans le secours d'une périphrase, et vous verrez combien, par sa précision, il nous est nécessaire».

Enfin, si les mots «dorelot», «quoquelu», «prilucide» ou encore «mérétrice» (la liste serait longue !) n'ont jusqu'ici pas fait recette, nous voulons croire qu'ils tenteront peut-être bientôt quelque écrivain d'aujourd'hui soucieux de créativité, et d'accord pour troquer son dictionnaire des synonymes, en attendant de trouver mieux, contre la Néologie de Mercier.


Natacha Milkoff
( Mis en ligne le 16/07/2009 )
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