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Littérature  ->  Essais littéraires & histoire de la littérature  
 

Itinéraire d’un enfant perdu et retrouvé
Béatrice Jongy   Yves Chevrel   Véronique Léonard-Roques   Le Fils prodigue et les siens - (XXe-XXIe siècles)
Cerf - Littérature 2009 /  24 € - 157.2 ffr. / 308 pages
ISBN : 978-2-204-09012-4
FORMAT : 13,5cm x 21,5cm

L’auteur du compte rendu : agrégée d’histoire et docteur en histoire médiévale (thèse sur La tradition manuscrite de la lettre du Prêtre Jean, XIIe-XVIe siècle), Marie-Paule Caire-Jabinet est professeur de Première Supérieure au lycée Lakanal de Sceaux. Elle a notamment publié L’Histoire en France du Moyen Age à nos jours. Introduction à l’historiographie (Flammarion, 2002).
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Le Fils prodigue, une parabole de Luc (chapitre 15, versets 11-32) qui raconte comment un père qui avait deux fils vit le cadet partir en ayant réclamé et obtenu sa part d’héritage. L’aîné reste travailler avec son père. Mais après avoir dilapidé son héritage, connu la misère la plus sombre, le cadet revient avec l’intention de demander à son père de l’employer comme salarié. Celui-ci, à la vue de son fils, ne le laisse pas parler, mais fait organiser en son honneur un grand festin, lorsque l’aîné laisse éclater sa colère contre ce traitement qu’il estime injuste. Le Père, en réponse, lui demande de se réjouir aussi car le fils perdu est retrouvé. Trois thèmes donc : le repentir, le pardon et une nouvelle chance, autour d’un axe, le départ et le retour. Une parabole qui peut apparaître dépassée dans nos sociétés contemporaines occidentales qui admettent la transgression et refusent l’idée de pères trop autoritaires, de hiérarchies familiales trop fortes, de lectures religieuses structurées sur le thème d’un Père aimant certes, mais surtout Tout Puissant.

Or Béatrice Jongy explique dans son avant-propos (elle encadre l’ouvrage collectif d’un avant-propos et d’une postface) combien, en dépit de ces aspects qui peuvent paraître archaïques, la parabole du Fils prodigue garde au XXe siècle une actualité qui se poursuit au XXIe siècle. En soi, cette parabole a d’ailleurs toujours dérangé, et Yves Chevrel le rappelle dans sa contribution. Chacun entend la plainte du fils aîné qui se sent injustement traité par un père pressé de tuer le veau gras pour fête le retour de celui qui a fui le foyer paternel… Dans cette description d’un clan familial, les femmes sont absentes, ni mère ni sœur. Lacune que comblent des récits littéraires au XXe siècle, certains auteurs allant même jusqu’à inverser le propos et raconter l’histoire des Parents prodigues (Alexandre Dumas fils, Jack London, et surtout Sinclair Lewis).

Les lectures psychanalytiques, elles, insistent sur la part du désir dans cette parabole, désir et amour intimement liés dans toutes les configurations : désir du Père d’aimer ses fils, désir des fils d’être reconnus, le cadet en transgressant la loi paternelle et en partant, l’aîné qui reste, en faisant éclater sa colère, capable enfin de faire entendre sa propre voix. Le père est-il trop aimant ? Et étouffe-t-il ses fils ? La parabole laisse aussi au lecteur la possibilité de choisir qui est au centre de l’histoire : le Père ? L’un des deux fils ? Lequel ? Et par là-même de s’identifier à l’un des trois personnages, une identification qui peut d’ailleurs varier au cours d’une vie…

On le voit, cette histoire recèle de riches possibilités d’interprétation, ce qui peut aussi expliquer la fascination qui persiste pour Le Fils prodigue dans nos sociétés que n’étonne plus la transgression ; le fils prodigue est à la fois un rebelle, un nostalgique et un solitaire… Aussi peut-il être ressenti comme une des figures de l’artiste dans notre société, du moins une des figures proposées.

Le recueil s’ouvre sur deux remarquables contributions de réflexion exégétique (Yves Chevrel et Elian Cuvilier) qui replacent avec érudition, intelligence et de façon limpide la parabole dans son contexte. Le Fils prodigue revient en force au XXe siècle grâce à Gide (Le Retour de l’enfant prodigue, 1907) et surtout Rainer Maria Rilke (Les Cahiers de Malte Laurid Brigge, 1910) mais aussi, d’une certaine façon, Kafka. Une première partie consacrée au Fils prodigue dans la littérature européenne montre au fil des contributions la variété des utilisations et des horizons : France, Belgique, Russie, Pologne…, et la richesse des relectures, détachées des traditions religieuses et insistant sur les thèmes alternés du voyage et du retour.

La seconde partie se consacre aux représentations sur scène : opéra, théâtre, cinéma, télévision. Là aussi, on est étonné de la force des lectures : si avec Benjamin Britten (Le Fils prodigue, 1968) ou encore le péplum américain de 1955 (Richard Thorpe, The Prodigal), on reste dans une lecture très proche du texte initial, en revanche, on n’aurait pas spontanément pensé à la série télévisée américaine Six Feet Under (2001-2005), qui raconte l’histoire d’une famille de croque morts dans l’Amérique moyenne. Le père meurt au début de la série : un fils prodigue sans père donc… Mais l’analyse de J. Belletante montre avec subtilité comment le fils aîné qui avait quitté le foyer, et y revient à cette occasion, investi par la volonté testamentaire paternelle de sa part d’héritage, va jouer vis-à-vis de son cadet le rôle libérateur, qui est une des clés de la parabole, en l’obligeant à se reconnaître et à s’accepter… Ensuite, le fils aîné meurt, sa tâche libératrice accomplie. Chez Jean-Luc Lagarce dans Juste la fin du monde, c’est encore l’aîné qui est en position de fils prodigue, au terrible retour.

En refermant le recueil, on a mieux compris en quoi la parabole parle d’accomplissement : accomplissement du désir du fils cadet, rendu possible par la compréhension du père mais qui du coup déclenche chez l’aîné une réaction de colère qui, elle, est accomplissement puisque l’aîné peut enfin dire au père ce qu’il a jusqu’ici tu dans des rapports de trop grande vénération, et une fin ouverte par la parabole puisqu’on ignore ce que choisit ensuite le fils ainé. Cette fin ouverte autorise la multiplication des entrées et des lectures qui font du ''fils prodigue'' un personnage contemporain et moderne, marqué par l’angoisse que lui inspire l’amour des siens, la peur d’être compris et donc non reconnu dans sa singularité. Un personnage pétri de contradictions et d’incertitudes, ce qui fait la richesse de ce récit singulier et permet à Béatrice Jongy de conclure que des retours du fils prodigue sont à prévoir…

On retrouve la qualité habituelle des éditions du Cerf : rigueur scientifique, chronologie, bibliographie, et l'on apprécie ces choix éditoriaux qui permettent de mieux mettre en valeur les liens entre Bible et littérature, et somme toute la modernité de ces textes qui appartiennent au patrimoine de la littérature occidentale. Au-delà du public universitaire auquel s’adresse cet ouvrage, il doit intéresser un public plus large, car le ''fils prodigue'' appartient aussi à notre quotidien ou du moins les questions que pose la parabole sont des questions qui restent d’actualité.


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 05/10/2010 )
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