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Littérature -> Essais littéraires & histoire de la littérature |
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Après être entrés dans le pays d’Hervé Guibert | | | Arnaud Genon Collectif Hervé Guibert (1955-1991) - La Revue littéraire N° 51, Décembre 2011 Léo Scheer 2011 / 10 € - 65.5 ffr. / 70 pages ISBN : 978-2-7561-0291-7 FORMAT : 14,6cm x 22,5cm
Lauteur du compte rendu : Isabelle Grell est spécialiste de lautofiction et Jean-Paul Sartre, sujets sur lesquels elle a publié plusieurs ouvrages. Codirectrice du site autofiction.org, elle est aussi lauteur de Presque amour, (Ed. Le Manuscrit, 2009) et dirige actuellement la collection «Le Livre La Vie» aux éditions Cécile Defaut.
Arnaud Genon collabore à Parutions.com Imprimer
36 ans de vie et chez certains autant de souvenirs dont certains se recoupent et certains sont uniques.
Oui, dans ce recueil orchestré par Arnaud Genon, spécialiste sans conteste de luvre guibertienne, le lecteur se trouve face aux souffles dun ange, aux aspirations dun démon, au corps (d)écrit dun homme qui a à peine traversé son siècle mais qui en a nonobstant été son auteur avisé, cruel, contemplatif et incisif. Incisif : on pense couteau, sang, lacération. Dans le texte dAbdellah Taia, qui est à première vue le plus éloigné du thème auquel il sagissait de répondre, le «petit Marocain» quil fut jadis en 1994 est attiré par le sang rouge qui se pressait entre les dents blanches dune femme pour lui étonnamment appétissante. Sans céder aux avances du jeune homme, le dernier jour, elle offrit à Abdellah un des livres les moins divulgués dHervé Guibert : Mauve le vierge et, simultanément, elle lui donna un frère dont lauteur est devenu aujourdhui le digne cadet.
Catherine Mavrikakis connaît bien, elle, le rouge, le rouge sang. Elle le connaît de près. Le rouge sang de Guibert. Elle laurait bouffé, pour mieux le recracher, vivant, pas mort. Le faire revivre par son corps. Oui, il est question de couleurs, dans ce recueil. Si Guibert avait fait des photos en couleurs, il aurait peut-être renforcé le rouge. Mais les photos que Guibert a prises de lui et dont on a, à plusieurs reprises, relevé limportance, sont en noir et blanc. Une radiographie, explique Christophe Donner dans son texte. Avoir, garder, laisser des projections de soi, pour après. La photo serait-elle comprise comme une sorte de suaire christique ? La Passion selon Guibert ? Guibert aurait trouvé cela cocasse et il aurait peut-être hoché sa tête blonde.
Les textes que nous trouvons dans ce numéro 51 de La Revue Littéraire ne sont pas désincarnés. Lamour pour lauteur et son uvre quils peignent, quils respirent, la passion pour la vie et la mort quils poussent jusquau fond, jusquau dedans, jusquà lexcrément, à lexécration, la brûlure de la séparation sont ici revécus sous différents angles. Langle «peauétique». Dans sa propre chair, comme le fait Philippe Mezescase en se rappelant, avec grâce et un sourire délicatement joué, la mise en scène des derniers moments de mort-vivant de Guibert. Langle de léchange. A travers des souvenirs damis communs (René de Cecatty), et pas des moindres, ou damants qui devaient, impérativement, porter dune manière ou dune autre le nom de Vincent (Mathieu Simonet).
Dautres revivent Hervé Guibert à travers leur propre histoire. Car aimer Guibert ne ressemble pas à aimer Flaubert. On aime Guibert parce quil est immortel. Et que nous ne le sommes pas. Ni ceux qui nous entourent. Arnaud Genon sait quil a (été) choisi par lécriture guibertienne en raison de linacceptable déchéance physique de sa mère qui reflétait en quelque sorte celle de Guibert. A travers son film, ses livres, Guibert sétait fait son propre spectateur, offrant par là son corps décharné à tous. Claire Legendre de son côté, lorsquelle «connut» Guibert, était depuis un certain temps déjà à la recherche de ce bel ange éternel. Elle crevait «de ne pas être un homme homosexuel». Lidentification, ici, est lyrique. Claire Legendre sen fout du sida, elle désire la beauté, elle tombe amoureuse du dandy, et elle arrivera même à devenir lui. Ses romans, ses titres en font preuve.
Benedicte Heim témoigne dans son texte de la force intrusive des uvres de Guibert. Elle évoque la doublure littéraire, photographique que Guibert sest construite en écrivant, en se filmant, simmobilisant sur des clichés. Les frontières de celui qui est mort à 36 ans, et ceci est le plus douloureux, ne seront pas les nôtres. Non que Guibert soit un héros. Loin de là. Mais il pose son doigt là où ça fait mal. Sur notre corps ouvert. Le cur défoncé. Sur nos frontières quon ne franchira pas comme lui. Guibert le sait : quand il a passé la frontière, les nôtres ne sont que démultipliées. Guibert nous échappe. Et nous lui courrons après. Ce recueil est un de ces rares moments où nous le rattrapons, une seconde, et lobligeons de sallonger sur le sol avec nous. Reste, mon ange.
Isabelle Grell ( Mis en ligne le 23/01/2012 ) Imprimer
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