|
Littérature -> Essais littéraires & histoire de la littérature |
| Jane Dunn Virginia Woolf et Vanessa Bell Autrement 2005 / 20.00 € - 131 ffr. / 397 pages ISBN : 2-7467-0750-0 FORMAT : 15,5x23cm Imprimer
Membre de la Royal Society of Literature, Jane Dunn a déjà publié plusieurs biographies remarquées sur Mary Shelley, Antonia White puis sur Elisabeth I et Marie Stuart. Premier de ses livres à être traduit en français, Virginia Woolf et Vanessa Bell analyse de façon captivante le lien très particulier qui unissait ces deux surs exceptionnelles, figures majeures de la vie intellectuelle anglaise du début du vingtième siècle.
Comme Jane Dunn lexplique dans sa préface, il ne sagit pas «dune biographie commune» mais dune exploration de leur «interdépendance». Si «la relation entre surs contient en puissance rivalité intense, compétition, refoulement, et un amour aussi féroce que protecteur», les différents éléments évoqués sont dans le cas présent à leur niveau maximal. Proportionnel, sans aucun doute au génie de Virginia et de Vanessa dans leurs arts respectifs. «Dès leur jeune âge, Vanessa et Virginia séparèrent le monde de lart et de lexpérience en deux
Vanessa revendiquait la peinture comme sienne, Virginia lécriture ; Vanessa sadjugea sexualité et maternité, Virginia intellectualité et imagination.»
Au cours des quatre premiers chapitres, Jane Dunn adopte une structure linéaire et suit les surs depuis leur naissance jusquà lâge adulte. En 1878, Leslie Stephen «philosophe et journaliste», veuf et père dune petite fille attardée, Laura, épouse Julia Duckworth, mère de trois enfants, George, Stella et Gerald, nés de son union avec Herbert Duckworth, «un mariage si parfait dans sa complétude que tout ce qui suivrait ne pouvait, en comparaison, que paraître pâle et prosaïque.» Quatre enfants voient le jour : Vanessa, Thoby, Virginia et Adrian.
Visiblement fascinée par la psyché de ses sujets détude, Jane Dunn examine minutieusement les relations entre les différents membres de cette étonnante famille recomposée, jalousie, possessivité, rancur, tentatives incestueuses
Elle évoque aussi les moments heureux la parenthèse enchantée des deux mois dété à Saint Ives par exemple et les épreuves particulièrement douloureuses, le décès prématuré de Julia et celui de Stella, à son retour de voyage de noces, qui souderont définitivement les deux surs.
Une autre difficulté de taille surgit vite la très victorienne «vision parentale de lincompatibilité entre intellect et féminité.» Virginia se rebelle lorsquelle prend conscience «de lexistence dun vaste monde déducation intellectuelle et sociale en dehors de la maison ; un monde qui lui était fermé à cause de son sexe». Elle se lance alors à lassaut de la monumentale bibliothèque paternelle. Vanessa renonce quant à elle et en concevra toute sa vie un grand sentiment dinfériorité intellectuelle vis-à-vis de sa cadette. Ces profondes différences de caractère naltèrent en rien lindestructible complicité qui devient au fil des années symbiose totale. Parvenues à lâge adulte, Virginia et Vanessa offrent au monde «limage dune indiscernable unité».
Pour étudier le parcours indissociable des deux femmes, Jane Dunn quitte ensuite la linéarité et choisit une approche impressionniste sans se soucier de chronologie, ce qui amène dailleurs parfois des redites inutiles. Par petites touches, elle décrit la naissance du groupe de Bloomsbury, la frénétique vie intellectuelle de lépoque dans les arts, la célébrité, les mariages avec Clive Bell et Leonard Woolf, les maternités de Vanessa, les amants et maîtresses, les voyages, les maisons communes, les deuils ou encore les périodes de dépression profonde de Virginia qui la conduisent au suicide en 1941.
Un thème revient naturellement en leitmotiv celui de la «solidarité créatrice», de linspiration que chacune a trouvé dans le travail de lautre, toujours intrinsèquement lié à celui de la jalousie : «sous les encouragements de surface et une épaisseur plus profonde de fierté pour la réussite de lautre subsistait la tension dune rivalité particulière ; il sagissait de savoir quel art était supérieur, celui de Vanessa ou celui de Virginia ?»
Alliant érudition et sens inné de la psychologie, Jane Dunn réussit un double portrait vivant et tout à fait passionnant. Jolie évocation de la «respiration commune» de deux surs hors du commun.
Florence Cottin ( Mis en ligne le 24/10/2005 ) Imprimer | | |
|
|
|
|