| Claude Arnaud Qui dit je en nous ? Grasset 2006 / 20,90 € - 136.9 ffr. / 436 pages ISBN : 978-2-2466-9987-1
Lauteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française, diplômé de lUniversité de Nottingham Trent (PhD). Professeur de Lettres Modernes, il est aussi membre du Groupe «Autofiction» ITEM (CNRS-ENS) et co-fondateur, avec Guillaume Ertaud, du site Hervé Guibert (http://herveguibert.net/). Imprimer
La question du sujet et de son identité est toujours dactualité. Mais le traitement quen propose Claude Arnaud se distingue par sa singularité. Dans Qui dit je en nous ?, sous-titré Une histoire subjective de lidentité, lauteur se livre à une analyse de cette problématique en la doublant et lenrichissant, dans lintroduction tout au moins, dun discours autobiographique visant à corroborer les thèses quil avance. Ainsi, aux formules impersonnelles caractéristiques de ce genre douvrage, vient se superposer un «je» justifiant le sous-titre de lessai. Il sera donc question du sujet, du «moi», du «je», de lidentité et de ses impostures, envisagés à travers le prisme dune conscience subjective, de ses goûts et ses penchants : «Que les spécialistes me le pardonnent : jy cheminerai [dans le livre], sans plan fixe, ni destination réglée, à travers les idées qui mintriguent et les cas humains qui ont pu me fasciner» (p.24).
La première partie, «Généalogie du moi», sinterroge sur les raisons de léclatement du sujet, de son impermanence, de sa multiplicité. En fait, elle énonce les caractéristiques dun sujet postmoderne, sans que ce mot ne soit jamais prononcé. Pour ce faire, lauteur invoque, dans un premier temps, le passage de «larbre au rhizome», c'est-à-dire dune identité verticale fondée sur la généalogie et lenracinement familial, social et culturel, à une identité horizontale ne «proliférant plus à partir dun centre mais de sa propre expansion» (p.37). Ensuite, cest lanalyse du passage ddipe à Narcisse - cest-à-dire dun besoin de tuer les représentations parentales à une nécessité de multiplier les identités pour se sentir exister - qui vient étayer la thèse dArnaud.
Cependant, lorsquil se livre à une critique des «autofictionneurs» français «qui peinent de fait à donner une unité narrative à leur moi» (p.49), on ne suit plus trop lauteur. Comment les «autofictionneurs» pourraient-ils donner une unité à leur moi alors que justement, il se caractérise par son indécision, son incapacité à être «un», comme létait le «moi» moderne rousseauiste, alors que lintérêt de lautofiction réside dans cette revendication dune identité qui se cherche, sachant quelle ne se trouvera jamais, atteignant, comme le notait Michel Leiris, lombre et non la proie, élément que lauteur semble omettre.
Dans «Soi, romans», deuxième partie de louvrage, Arnaud poursuit son analyse des problèmes liés à lidentité se promenant, «à saut et à gambade», à travers lhistoire, la littérature ou la philosophie. Il évoque ainsi laffaire de Martin Guerre, paysan du 16e siècle ayant abandonné sa famille, et dont lidentité fut usurpée par un homme dune contrée voisine, envisageant les conséquences dune telle imposture sur la famille, les villageois ou sur lapplication du droit alors en vigueur. Il se penche ensuite sur le «propre, lâme et le soi», puis sur «lauto-dissolution» du moi se référant à Proust, selon qui le moi «est fait de la superposition de ses états successifs», à Nietzsche qui voit «limpersonnel dominer en nous» ou encore à Freud pour qui la personnalité repose sur «un empilement didentifications à des modèles successifs». Les visages multiples de Pessoa, mettant en scène ses hétéronymes, les figures du cinéaste Erich Von Stroheim ou de lécrivain Benjamin Wilkomirski, auteur de Fragments, Une enfance, viennent étayer ces analyses sur le multiple qui réside en chacun.
La troisième et dernière partie du livre, «Des êtres, un nom» envisage les mutations ou auto-mutations auxquelles les individus de lère contemporaine sont soumis ou se soumettent. Arnaud remarque ainsi que «jamais le marché de lidentité naura été aussi ouvert, si volatil aussi : lauthenticité sy brade au même prix que lartifice ; chacun vend ce quil nest peut-être plus pour acheter ce quil ne sera sans doute jamais» (p.335). Plus loin, cest sur les mutations physiques quil sinterroge. En effet, la psychologie nest désormais plus «le socle irréductible de notre identité» dans la mesure où les aménagements physiques sont devenus plus que courants. En la matière, Michael Jackson constitue un véritable pionnier, comme lavance lauteur. La question du genre sexuel est, dans cette même optique, envisagée dans un chapitre intitulé «La fin du sexe».
Alors, qui dit je en nous ? Entre impostures, identités multiples et éclatées, entre identité physique, psychologique et identités de genre repensées à lère de la théorie queer, force est de constater que la singularité du «je» ne sexprime plus désormais que dans sa pluralité et sa complexité. Car le «je», quoi quen disent les grammairiens, semble toujours avoir été une personne plurielle, du pluriel. Claude Arnaud le démontre.
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 09/10/2006 ) Imprimer | | |