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Littérature  ->  Essais littéraires & histoire de la littérature  
 

Kafka, toujours
Georges-Arthur Goldschmidt   Celui qu'on cherche habite juste à côté - Lecture de Kafka
Verdier 2007 /  13 € - 85.15 ffr. / 119 pages
ISBN : 2-86432-488-1
FORMAT : 14,0cm x 22,0cm
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Kafka est un intercesseur essentiel pour Georges-Arthur Goldschmidt, pour des raisons biographiques qui sont des raisons d’écrire. Car le parcours de l’auteur de cette lecture, mais aussi de La Traversée des fleuves (1999), du Poing dans la bouche (2004) et du Recours (2005), d’essais sur Freud, Handke, Molière ou Jean-Jacques Rousseau, est pour le moins singulier. Georges-Arthur Goldschmidt est né en Allemagne au mauvais moment : si, en 1928, il était promis à une enfance heureuse au sein d’une famille de la bourgeoisie juive aisée, cultivée, intégrée, en 1938, tout avait changé. Ses parents, comprenant qu’ils étaient menacés même si l’une n’était pas juive et l’autre un juif converti au luthérianisme, durent l’envoyer en France, à l’abri (provisoirement) dans un pensionnat catholique de Megève. Ils n’avaient pas tort : le père fut déporté en 1942 et s’il revint vivant, il ne survécut pas ; pas plus que la mère, morte de chagrin. Être ainsi privé de ses parents, c’était aussi pour Georges-Arthur Goldschmidt être privé d’une langue maternelle souillée par la barbarie nazie. Il découvrit le français et avec passion la littérature française. Et il découvrit le fouet – remède des internats d’alors contre les «vices» de la masturbation et de l’indiscipline – en même temps que la volupté de la punition. On comprend que Rousseau fut un autre intercesseur. Puis Georges-Arthur Goldschmidt fit des études de philosophie à Paris, devint agrégé d’allemand et traducteur, c’est-à-dire qu’il sut reconquérir la langue maternelle, celle des contes de Grimm de son enfance et celle de Kafka. Tout cela, Georges-Arthur Goldschmidt le raconte, l’explique, le prouve à travers ses nombreux ouvrages et ses traductions, notamment celles de Peter Handke… et de Kafka.

Dans Celui qu’on cherche habite juste à côté. Lecture de Kafka, il revient donc sur sa fascination pour un auteur essentiel, vital, unique. Et c’est aussi l’occasion de revenir sur les thèmes de la faute et de la punition, du corps, de la langue, de l’écriture, car l’auteur du Procès (livre matrice de la réflexion de Georges-Arthur Goldschmidt) se situe au centre d’une sidération biographique qui est artistique et existentielle : ce moment initial où, «d’un coup, on bascule vers ce qui n’avait pas de précédent» et en quoi pourtant l’on se reconnaît, parce que cette étrangeté, ce secret, «c’est ce que les personnages [et les auteurs et les lecteurs] ignorent d’eux-mêmes et que les événements vont révéler» (pp.25-26). «La plupart du temps, celui qu’on cherche habite juste à côté» : Georges-Arthur Goldschmidt a choisi les mots de Kafka (extraits du Journal) comme titre de sa lecture et ce choix est emblématique de la manière, de la tension et de la difficulté de son essai.

Il propose en effet au moins deux interprétations de cette formule (p.25 et p.62) et il ne cesse de le répéter avec admiration : on ne peut que multiplier les interprétations des textes de Kafka et l'on ne peut que les laisser inentamés, on ne peut que tourner autour d’une écriture qui dit ce qu’elle a à dire avec perfection (l’éloge constant de cette perfection rappelle un autre essai, également ressassant, dans lequel un auteur fantasme la langue d’un auteur : celui de Francis Ponge sur Malherbe !). Dès lors, Georges-Arthur Goldschmidt ne recule pas devant de longues citations, souvent bienvenues, ni devant des redondances, voire des truismes : «Rien de ce qu’on écrit sur Kafka n’est faux et rien ne coïncide, seul le texte de Kafka coïncide avec le texte de Kafka. Il n’a pas de vérité possible de l’interprétation, tout ce qu’on en dit y est et n’y est pas. Nul n’est compétent et tout le monde l’est. Personne ne peut prétendre rendre compte de ce que dit Kafka, si ce n’est lui, Kafka. Autour de ses écrits, il y a tout ce qu’ils peuvent signifier et susciter. Tout comme ses personnages sont littéralement cernés par tout ce qui n’a pas eu lieu, de même toute lecture de Kafka est cernée par toutes celles qu’on peut en faire. On ne lit rien en dehors de ce qu’on lit. On n’écrit rien en dehors de ce qu’on écrit.» (pp.21-22)

Or, cette perfection de la langue se découpe sur le fond d’une impuissance absolue et implique une incontournable corporéité : «D’emblée celui qui parle chez Kafka se sait dans l’incapacité d’atteindre quoi que ce soit. […] Vouloir atteindre le château ou le tribunal, c’est déjà être parti trop tard. Tout est déjà dit lorsque la parole commence. La recherche a pour origine de ne pas trouver. Selon une vieille légende hassidique, l’enfant sait tout de l’univers lorsqu’il est sur le point de naître, mais alors un ange lui frappe la bouche et la naissance c’est avoir tout oublié. Il ne reste que la tentative de connaître de l’intérieur, d’être donc voué à subir la torture, le ressenti du corps. La voie moyenne de la connaissance par l’intimité du corps a fort bien été comprise par les Jésuites et leur pratique subtilement modéré et vive du fouet dans leurs collèges.» (pp.102-103) Et Georges-Arthur Goldschmidt de relier, avec discrétion, la présence du fouet dans les récits de Kafka à sa propre expérience, de même qu’il relie le sentiment de la judéité de Kafka à son propre sentiment : «pour un juif, la mise à mort est un préalable, un savoir antérieur à tout savoir, c’est sur la base de sa mise à mort que s’établit son existence» (p.49). Mais cette condition juive dont parler Kafka est aussi, selon Georges-Arthur Goldschmidt, la condition humaine : chaque individu est irréductible, «c’est moi qui ressens, et ce sont les autres qui voient» (p.117). «Toute la démarche de Kafka a comme point de départ une fascination à l’égard de la démonstration impossible de l’évidence. Son aventure est celle de tous, elle est même à l’origine de l’écriture : jamais quiconque ne pourra faire voir ni sentir son être-soi (…).» (p.118)

Georges-Arthur Goldschmidt termine son ambitieuse démonstration en rapprochant le défaut de la langue («comme faite pour ne pas pouvoir aborder l’essentiel» et qui «fait apparaître ce dont elle ne peut pas parler», pp.40-41) du défaut d’innocence : «Le tribunal précède l’innocence. Il n’y a pas d’innocence originelle et s’il y en a une, elle est dès l’origine abolie par le langage. Le tribunal et le langage font cause commune : je n’ai que le langage pour dire mon innocence, c’est de lui que je suis coupable, et c’est lui qui m’empêche de dire mon innocence, comme si c’était là son essence.» (p.119)

Celui qu’on cherche habite juste à côté. Lecture de Kafka n’est pas un ouvrage facile d’accès, du fait de son élaboration, procédant «d’une présence interrompue» de l’auteur du Procès et d’un approfondissement (comme le précise l’avertissement) «au fil des rééditions, des investigations sur les manuscrits et de leur déchiffrement», et du fait de sa manière qui est bien moins une démonstration suivie qu’un ressassement : les sept chapitres se chevauchent en maints endroits et tous reviennent sans cesse à l’expérience de «l’événement initial», titre du premier d’entre eux. Il n’empêche qu’il s’agit là d’une méditation stimulante, complexe, parfois irritante par l’abus des redondances, des tautologies ou des paradoxes (qu’explique cependant le projet de penser l’évidence «terrassante» d’une écriture), mais toujours personnelle et souvent éclairante, notamment par les rapprochements qu’elle établit avec Wittgenstein, Pascal, Bergson, voire Rimbaud.

Le livre refermé, on éprouve le besoin de préciser certains points, mais on est convaincu, une nouvelle fois, de l’importance inestimable de l’œuvre de Kafka.


Alain Romestaing
( Mis en ligne le 21/02/2007 )
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