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Littérature  ->  Poésie & théâtre  
 

L’Espion qui m’aimait
Michael Frayn   Démocratie
Actes Sud - Papiers 2007 /  18 € - 117.9 ffr. / 122 pages
ISBN : 978-2-7427-6983-4
FORMAT : 15,0cm x 20,5cm

Traduction de Dominique Hollier.
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Démocratie est une pièce de théâtre en deux actes écrite en 2003 par l’écrivain journaliste anglais Michael Frayn. Et cette double nomination n’est pas sans lien avec son écriture puisque son texte emprunte aux deux genres ses caractéristiques particulières. En effet, si la trame de l’œuvre est typiquement «romanesque», le style lui se réfère à une manie propre au monde de la presse…

Michael Frayn revient donc sur une période importante de l’histoire récente de l’Allemagne : l’élection au poste de chancelier fédéral de la RFA de Herbert Ernst Karl Frahm dit Willy Brandt (1913-1992), en poste de 1969 à 1974. Après deux défaites consécutives, l’une contre Adenauer en 1961 et l’autre en 1965 contre Erhard, il parvient grâce à la coalition de son parti le SPD avec la CDU à remporter celle de 1969. Durant son mandat, il obtiendra le prix Nobel de la paix en 1971, pour son ouverture à l’Est, notamment avec le régime communiste de la RDA. On a appelé cette ouverture l’Ostpolitik.

Si la pièce revient assez précisément sur l’homme, l’entourage, les espions et les collègues proches du chancelier, elle va s’intéresser à un épisode célèbre qui précipita la chute et la démission de Brandt le 7 mai 1974 après cinq ans de bons et loyaux services. Günter Guillaume (1927-1995), officiellement membre de la Stasi, la police politique de la RDA, a été parallèlement inscrit au SPD, puis conseiller financier auprès de la chancellerie fédérale ; postes importants qui lui ont permis de devenir secrétaire personnel de Brandt en 1972, en vue d’espionner le chancelier en organisant ses déplacements et en le suivant lors de ses différents congrès. Il devient durant plus de deux ans un proche de Brandt jusqu’à ce qu’il se fasse débusquer par les autorités fédérales le 24 avril 1974. Il sera condamné à 13 ans de prison mais retournera avec sa femme (complice elle aussi) en RDA en 1981 où, libéré, il reprendra du service pour la Stasi.

La pièce explore les secrets, les machinations, les complots, les plans, les manœuvres politiques de l’entourage de Guillaume pour connaître puis desservir le pouvoir de Brandt. L’on parle beaucoup, on s’affronte à coup de ruses, de roublardises, de secrets dans cette Allemagne divisée comme l’Europe l’est à cette époque, entre l’Est et l’Ouest, en plein cœur de la guerre froide. Le second acte s’intéresse davantage à la relation qu’établit Guillaume avec son chancelier. Discussions durant leur voyage, à la veille d’un discours, après une journée remplie, lors d’un week-end à l’étranger, les deux hommes sont inséparables même s’ils restent lucides sur leurs apports respectifs. Brandt, à plusieurs reprises, s’interroge, en tout cas, se méfie de ce collègue dont le passé reste assez vague et peu propice à ce type de carrière. L’autre est partagé entre son «sale boulot d’espion» et son attachement à son supérieur qu’il apprend à connaître au fil des mois.

Mais Frayn ne livre ici qu’une infime partie de l’histoire, en broyant ses personnages dans un flot continuel de propos qui parfois se perdent dans un cafouillage lié à la structure même de la pièce : en effet, refusant la présence de scènes, de didascalies claires qui permettent de passer d’un point à un autre, les interventions s’enchaînent entre les personnages, rompant d’un coup un dialogue pour repartir vers un autre, ou un monologue, puis reprenant de plus belle ! Du coup, le lecteur, croyant continuer de lire une scène, s’aperçoit qu’une autre commence, ou qu’un autre personnage intervient, seul ou avec un autre protagoniste. Les repères sont difficiles à prendre, surtout que Frayn y ajoute des monologues (dont beaucoup de Guillaume) racontant à posteriori la situation qu’une scène est en train d’évoquer En cela, la pièce s’apparente davantage au genre radiophonique.

Le style journalistique n’arrange rien à l’affaire. Et même si le lecteur est le témoin privilégier des décisions qui se prennent au cœur du débat politique, il n’en ressort pas plus avancé sur les relations Brandt/Guillaume. Exemple du style de la pièce : EHMKE. La vie est tellement compliquée, Reinhard ! Tout le monde observe tout le monde. Tout le monde voit quelque chose de différent. Tout le monde essaie de deviner ce que voient tous les autres. C’est un épouvantable merdier sans fin, mouvant, incertain, indéchiffrable et inexplicable !» (p.73)

Frayn a donc fait une pièce politique en prenant les noms des véritables protagonistes qui ont joué un rôle durant «la traque» idéologique qu’a subite Willy Brandt. Quelques épisodes célèbres du chancelier sont repris ici comme celui où il est tombé à genoux devant le mémorial du soulèvement du ghetto de Varsovie, à la grande surprise de tout le monde. Ou encore les problèmes d’ordre privé qu’il confessait à son «ami» Guillaume, et qui ont nuis à sa réputation, puisque tout ou presque a été révélé par ce dernier.

Il y a un côté fascinant dans cette histoire qu’un roman pourrait travailler de manière plus psychologique, mais que le livre soulève involontairement à travers la photo de couverture où l’on voit les deux hommes sur un quai de gare. Brandt, la carrure imposante, marche vers l’objectif, main dans la poche, montrant son assurance, alors que Guillaume reste derrière, à l’écart, costume et lunettes sombres, mains derrière le dos, le visage plus incliné… Et lorsqu’on voit la date du cliché (8 avril 1974), on sait que cela faisait un an que les soupçons pesaient sur les véritables activités du secrétaire et que moins de quinze jours plus tard, les deux hommes étaient rattrapés par la dure réalité.

Frayn écrit une pièce, non dénuée d’intérêt par son côté historique et politique (Le titre est évocateur des manœuvres permanentes qui peuvent par définition user un tel système, et le rendre plus fragile qu’il n’y paraît), mais la trame ne sert que très peu la dramaturgie, elle-même croulant sous le flot de paroles et de manœuvres politiques qui délaissent un peu l’aspect psychologique et documentaire de l’histoire. La postface de l’auteur propose un éclairage historique plus concret en revenant sur la période et les faits que traite la pièce. Si l’on veut creuser le sujet, il faut savoir que Günter Guillaume a publié ses mémoires en 1988 sous le titre Die Aussage et qu’il revient longuement sur cette période capitale de son existence.


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 10/10/2007 )
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